Rome, au printemps 1505. Michel-Ange vient d’apprendre une bien triste nouvelle, celle de la mort d’Andrea, un moine dont il admirait tant la beauté. Il ne peut se résoudre à disséquer le corps comme il a l’habitude de le faire pour d’autres cadavres qu’on lui apporte. Il se réfugie à Carrare pour faire taire son chagrin et surtout choisir dans cette ville toscane les meilleurs marbres pour tailler le tombeau réclamé par le pape Jules II. Des carriers, Michel-Ange va en croiser beaucoup, ces artisans prêts à donner leur vie pour un beau bloc de marbre. Mais ce sont deux rencontres particulières qui vont chambouler sa manière de penser : Cavallino, un homme qui se prend pour un cheval, parle aux animaux et les aime plus que les hommes, et Michele, un enfant qui a perdu sa mère. Si le sculpteur prétend qu’il n’aime pas les enfants (et son mauvais caractère le pousse à le dire tout haut et à souvent envoyer promener Michele), ce petit garçon va ouvrir en lui une brèche, le comprendre mieux que le pourrait n’importe quel adulte et l’aider à retrouver son chemin. Michel-Ange reviendra à Rome plus apaisé.
J’ai choisi ce livre parce qu’ayant la chance de visiter Rome, j’avais envie de lire un livre sur Michel-Ange. Si je n’ai eu droit qu’à un petit aperçu de sa longue vie (il est mort à 89 ans !), que j’aurais suivre la création du tombeau dédié à Jules II ainsi que l’élaboration d’autres de ses œuvres, j’ai été charmée par ce petit bijou de récit. C’est la première fois que je lis cette autrice et je ne regrette pas du tout mon choix. Ses phrases sont simples, écrites au présent, elle va à l’essentiel avec une clarté très juste et lumineuse qui la rapproche de la poésie. La morale qui repose sur la lucidité des enfants et la sagesse des fous s’accompagne d’une réflexion sur le pardon et l’humilité, le travail des carriers mais aussi sur la mort et le souvenir des êtres chers qui se sont tus. Les chapitres sont très courts, comme des éclats de marbre, d’une admirable pureté et d’une grande délicatesse, l’autrice est même parvenue à exprimer à travers les mots la sensualité et la sensation tactile propres à la sculpture, chapeau ! Une très belle lecture et un coup de cœur pour moi.
Pour la petite anecdote, Michel-Ange tient à suivre scrupuleusement les conseils santé de son père : il se lave le moins souvent possible et se couche toujours habillé. (L’eau transporte les maladies, il faut l’éviter au maximum !)
A propos de la Pietà : « Je n'ai jamais signé une œuvre auparavant, mais je me suis décidé à le faire pour celle-ci parce qu'un sculpteur milanais cherchait à se l'attribuer. Une nuit, je me suis laissé enfermer dans Saint- Pierre. Dans l’obscurité de la chapelle où se trouve la sculpture, j'ai gravé mon nom sur le bandeau qui traverse la robe de la Vierge. Entre deux coups de marteau, j'entends une petite voix qui m'appelle. Je me retourne, je ne vois rien. La bougie, accrochée à mon petit chapeau de papier, éclaire peu. La voix brise à nouveau le silence monumental qui m'entoure : « Je suis sur votre droite, maître, juste derrière la grille. Je suis une de des sœurs du couvent et je n'ai pas le droit de vous montrer mon visage. J'ai une immense faveur à vous demander. » Elle hésite et continue : « Donnez-moi un peu du Christ, un peu de sa poussière de marbre ! »
Pour Michel-Ange, la sculpture est une vraie vocation (il n’a jamais vraiment aimé peindre et n’a pas voulu réaliser la fresque de la Chapelle Sixtine) qu’il s’est découverte au contact des tailleurs de pierre : « À force de côtoyer leurs rires et la montagne, la fièvre de la pierre était entrée en lui et ne l'avait plus quitté. Elle était entrée comme un torrent. Ce qui l'intéressait, c'était de toucher les outils, les voler pour les utiliser à sa guise, mentir le plus dignement possible en disant que non, ce n'était pas lui. Prendre des bouts de pierre tombés ou délaissés par les tailleurs, jouer avec, les cogner les uns contre les autres, écouter la musique qui en résultait, l'imprimer dans son cœur afin de ne jamais l'oublier et, surtout, se dire qu'en apprenant à maîtriser la pierre, il apprendrait à maîtriser le monde, plus exactement à le sculpter au gré de son imagination, et Dieu sait s’il en avait. »