Contes de l’indigène et du voyageur
J’avais découvert cet auteur en lisant A son image qui, je trouve, n’a vraiment rien à voir avec Nord Sentinelle, court roman qui devrait être le premier d’une trilogie.
Sur un port corse, un beau soir d’été, Alexandre Romani poignarde un étudiant en médecine, Alban Genevey, « devant une foule attentive de témoins avinés » avant de prendre la fuite. Pourquoi ce geste ? Alexandre s’était senti menacé quand Alban avait introduit dans son restaurant une bouteille de vin qu’il buvait en cachette (et si Alban l’avait fait, c’est parce qu’il s’était vexé : il avait trouvé que la veille, le vin commandé qui n’était pas encore à la carte, était bien trop cher). La « blague » n’a pas plu à ce descendant de famille de riches dont les membres rivalisent d’arrogance depuis des décennies et détiennent le pouvoir dans ce coin de l’île. Le narrateur, un ami de la famille, par des bonds dans le temps, comble les vides et raconte l’histoire de cette famille qui a du mal avec la conception de « l’étranger » et où l’argent facile coule à flots.
Si le sous-titre comporte le mot de « contes », c’est que l’auteur, de manière subtile et adroite, démarre chaque chapitre (qui s’apparente à une nouvelle) comme une nouvelle histoire pour finalement retrouver le fil de l’intrigue entamée précédemment. Finalement, on retombe sur nos pattes, les pièces du puzzle s’imbriquent avec brio et le récit est rondement mené. Dans un méli-mélo de genres, avec des phrases longues à n’en plus finir, l’auteur se veut à la fois enquêteur, poète, conteur, historien, chroniqueur et il parvient même à saupoudrer le tout d’humour. Si je n’ai pas été particulièrement charmée par cette histoire, le style de Ferrari m’a beaucoup plu. Corrosif à souhait, il nous embarque à travers les siècles, de la tragédie grecque au tourisme de masse de notre millénaire pour évoquer des thèmes allant de l’altérité au sentiment d’appartenance en passant par l’amitié. J’ai beaucoup aimé et je reviendrai vers cet écrivain, je veux bien que vous me conseilliez des titres (avec de l’humour si possible, parce qu’il me semble qu’il n’y en avait pas dans A son image).
La mère d’Alexandre « a décidé de garder le fruit de leurs sordides et insignifiantes copulations et de le porter jusqu'à complète maturation pour offrir au monde un Romani supplémentaire, c'est-à-dire, comme on pouvait le prévoir dès sa conception, un parasite alangui, violent et oisif, un être irresponsable, charmeur et dénué de tout scrupule, comme le furent - en vertu, non de l'hérédité, mais d'une solide culture familiale consistant en l'absence totale de principes éducatifs élémentaires alliée à un colossal sentiment de supériorité - tous ses ancêtres, à commencer par l’heureux père, Philippe, ce que j'étais bien placé pour savoir qui, puisqu'il était, depuis toujours, mon meilleur ami - tant il est vrai que nous ne choisissons pas plus nos amis que notre famille. »
Une épidémie de folie meurtrière s’empare de la plupart du bétail et des animaux sauvages : « Après le taureau meurtrier, les cochons carnivores et l'âne anthropophage on évoquait ainsi un renard grignoteur qui aurait vicieusement mâchouillé, dans les gîtes d’étapes, les orteils de randonneurs déjà épuisés par les attaques vampiriques des punaises de lit, des scorpions agressifs qui, dissimulés dans l'obscurité humide des salles de bains, piquaient les imprudents sans qu'il fût besoin de leur marcher dessus ou se cachaient sciemment sous l'abattant des toilettes, des boucs et des mouflons kamikazes et même une redoutable mouette énucléeuse semant la terreur sur des plages où, pendant plusieurs jours, personne n'osa plus retirer, fût-ce pour un instant, ses lunettes de soleil. »