Astrid a tout perdu, enfin l’essentiel : son mari et ses deux jeunes fils dans un accident de voiture. Décidée à rompre totalement avec sa vie d’avant, elle achète – sur photo – une maison en pierres perdue dans le Mercantour. Elle ne connaît pas la haute montagne mais Kamal, son amoureux, l’appréciait beaucoup. Elle découvre une vie rustre et différente, un climat hostile, des voisins nombreux. Elle s’y fait doucement jusqu’au jour où elle découvre Soraya en train de mourir dans la neige. Soraya est une migrante venue de Syrie, elle a traversé plusieurs pays, elle a perdu des membres de sa famille, a connu l’enfer absolu et s’est retrouvée enceinte d’un être qu’elle rejette parce qu’il est issu d’un viol. Astrid et la voisine Ida vont aider Soraya à accoucher, Astrid va héberger la jeune femme âgée de dix-sept ans puis va s’occuper de ce bébé toujours renié par sa mère. Sans papiers, Soraya va devoir rester cachée et surtout commencer à penser à son avenir, si incertain, grâce à une association qui va lui venir en aide.
Quand la douleur réunit deux êtres brisés... J’ai failli rendre le livre emprunté sans le lire par peur d’être confrontée à un texte sur le deuil et la mort, et j’aurais eu tort. C’est bien plus que ça, c’est un roman sur la renaissance, sur le goût de la vie, sur l’espoir. Ce n’est pas pour rien que l’autrice a choisi un lieu en altitude pour faire se rencontrer ces deux femmes qui ont connu le pire ; elles-mêmes s’élèvent vers un possible renouveau, vont se compléter, s’entraider, s’accompagner sur ce long chemin de la résilience, avec des ratés évidemment, des rechutes, une blessure qui ne cicatrisera jamais complètement. J’ai beaucoup aimé partir à la montagne avec elles et j’ai encore davantage apprécié les incursions poétiques qui jalonnent le roman, jolies respirations artistiques et je veux bien croire que c’est la poésie qu’Astrid a eu envie de lire quand elle a commencé à pouvoir poser ses yeux sur des mots. La poésie s’invite un peu partout dans les pages, que ce soit des phrases de l’autrice ou des citations de poètes. Je pensais ne pas aimer ce livre, je l’ai pourtant lu avec plaisir et fluidité, et il m’a poursuivie une fois reposé, j’en ai même rêvé une nuit. A découvrir !
« Astrid est un bouchon de Liège. Les grosses bouées rouges ou jaunes qui se dandinaient au rythme langoureux des vagues ont disparu. Elle monte et descend dans un long va-et-vient, incapable de plonger pour s'abîmer dans l'eau noire, en exhumer les trésors enfouis, tout au fond, coquillages brillants aux reflets nacrés, roses, bleus, verts. Elle redoute de s'immerger parce qu'alors, elle les voit, cadavres gonflés et difformes qui se débattent dans les profondeurs, elle a beau leur tendre la main, à vous les sauvera plus. »
« Soraya préfère le hasard. Il est capricieux mais innocent, une créature puissante dansant sous le clair de lune. Il fait des moulinets, lance ses poings devant lui dans un drôle de ballet nocturne, s'amuse sans penser à mal. Et tant pis pour les pauvres gens qu'il tamponne sur son chemin : ils s'écroulent, la faute à pas de chance. Cette façon d'envisager la situation lui paraît moins injuste, moins culpabilisante aussi. »
La belle citation d’Andrée Chédid :
« Sans me hâter
Je m’acclimate
A l’immanence
De la nuit. »