Un drame est survenu dans la belle maison de Hyères. Claire, la cinquantaine, Parisienne, écrivaine, raconte à son avocat, dans un long monologue rarement interrompu, cette incroyable histoire d’amour qui frôlait la perfection. Gilles est beau, il a le même âge que Claire, il a lui aussi des enfants et il est en passe de quitter sa femme. Il est d’une incomparable gentillesse et d’une générosité sans limites envers Claire à qui il déclare sa flamme dès la première nuit passée ensemble. Cultivé, intelligent, séducteur, il est metteur en scène de marionnettes. Il fait tout pour rendre Claire heureuse, éperdument heureuse – et elle vivra quelques mois de pur bonheur. Le manque d’empathie et la jalousie professionnelle de Gilles lui mettront à peine la puce à l’oreille. Gilles va s’éloigner et pas seulement physiquement, il va l’accuser de saboter leur couple, d’être toxique et elle, dans l’incompréhension totale, va descendre dans les abysses de l’enfer.
J’ai retrouvé le talent de Camille Laurens que j’avais déjà tant apprécié dans Celle que vous croyez, cette verve, cette fine psychologie, la plume alerte et l’analyse fine de ses personnages. Une histoire d’amour parfaite qui, bien sûr, ne peut durer ; ce travail de sape lent et long qu’insidieusement Gilles fait subir à Claire est parfaitement décrit. Camille Laurens enrobe le tout d’humour (cette mise en abyme est absolument délicieuse, on a du mal à ne pas croire que l’autrice n’est pas l’héroïne) et d’une tension qui nous fait tourner gloutonnement les pages. C’est un huis clos infernal dans cet espace créé entre et pour deux personnes, c’est dense et compact, un brin oppressant et surtout complètement passionnant. C’est aussi une relation amoureuse que l’autrice tournicote dans tous les sens, vue par les protagonistes mais aussi par les proches, et cette étude fouillée, exhaustive, aboutie force l’admiration. Si cette image du prince charmant qui se brise en quelques mois parce qu’il s’avère être un pervers narcissique est un sujet qui a déjà été souvent traité, Camille Laurens y apporte une touche de modernité, une polyphonie, un dynamisme contagieux, une originalité qui passe aussi par la forme tantôt poétique, tantôt très orale, parfois lyrique, parfois hachée. Avant d'estampiller ma lecture "coup de cœur" parce que j'ai adoré ce livre, j'ajoute un petit bémol quant à la narratrice qui paraît tantôt imbue de sa personne, tantôt un peu niaise et influençable. Je vous laisse découvrir tout ça...
« Vous l’admiriez ? - Non, en fait non. J’emploie ce mot parce que j’ai souvent qu’il était nécessaire, avec mon mari, bien sûr, dont c’était le seul carburant, mais sans doute aussi avec les autres, les autres hommes, je veux dire. La plupart. Ils ont besoin d’être admirés, c’en est presque obscène. Même sous la modestie, dès que vous creusez, il y a la rage d’être admiré. Flatté, aussi, souvent ça leur suffit – ils ne font pas la différence. Les femmes ne sont pas comme ça, moins souvent, elles sont plus proches de la vérité, c’est-à-dire de la défaillance. Accepter la faiblesse est une force très féminine, que peu d’hommes possèdent et qu’aucun ne nous envie. »
Témoignage de l’agent de Claire : « Ce type-là est capable du pire sous ses airs bonasses. Il se sert des gens comme de marches pour s'élever vers je ne sais quelle ambition. Puis il les piétine. (...) Tant que les hommes voudront prendre toute la lumière, si le projecteur les dédaigne, ils iront la chercher ailleurs. Moi qui en connais beaucoup, je peux vous l'assurer : dans l'ombre des écrivains, souvent il y a des muses, des compagnes, des égéries, des mamans. Dans l'ombre des écrivaines, il n'y a personne. »
L’avis d’un expert psychiatrique : « Trois étapes : 1) bombardement sentimental, séduction, idéalisation. 2) dénigrement, rabaissement. 3) destruction. Séduire, rabaisser, détruire. Le sujet pervers s’est construit sur un défaut d’humanité. »
J'avais moins aimé Fille.