Stella Thibodeaux est une magnifique jeune femme de 19 ans qui officie avec succès dans sa caravane au fin fond de la Géorgie, aux Etats-Unis... elle est une prostituée qui ne déteste pas son boulot. Sa particularité ? Elle est capable de guérir certains infirmes, certains paralytiques, certains handicapés. Très vite, une foule d’éclopés, d’aveugles, de muets ou encore de cancéreux se massent devant sa caravane. Le miracle arrive très vite aux oreilles de James Brown, pas le musicien, mais un prêtre plutôt rock et un peu allumé qui informe le diocèse de ce prodige. Il n’aurait pas dû : au Vatican, ça discutaille et il est inconcevable qu’une prostituée devienne une sainte. Il ne reste qu’une solution, l’éliminer, qu’elle devienne une martyre. Ce sont les frères Bronsky, aussi stupides que cruels, qui sont chargés de cette mission. Pour le père Brown, il est essentiel de protéger la jeune femme qu’il emmène dans un road-trip bien américain. D’autres personnages hauts en couleur émaillent leur chemin, notamment une vieille Mexicaine pseudo voyante et confidente de Stella, un jeune journaliste-photographe bientôt père de famille qui vise le Pulitzer pour lancer sa carrière, une bombasse d’assistante d’hommes en soutane qui sont tout sauf irréprochables.
L’univers d’Incardona est aux antipodes d’un monde lisse et prévisible. Le romancier suisse écorche un clergé calculateur et malhonnête, il place une prostituée sur un piédestal, associant poésie et crudité. On pense évidemment à Tarantino ; ça saigne dans la joie et la bonne humeur. Et c’est drôle, malin, tendre, vulgaire, impertinent, bien écrit. Le tout est très visuel, extrêmement rythmé, un brin sauvage. Quelques images me resteront en tête : un très vieux couple d’amoureux, la foule silencieuse des éclopés, une Stella qui ne peut s’empêcher de guérir même dans les toilettes d’un KFC, un Las Vegas hurlant et frénétique.
J’ai passé un excellent moment, regrettant seulement que le roman soit si court.
Stella : « Elle vous regardait. Vous. Votre, cœur, votre sang. Vivant. Alors, bien sûr, Stella ne pouvait que devenir ce qu’elle portait en elle : la quantification du désir. Et dans une vie, quand on y pense, ça peut suffire pour devenir une putain. »
« La vie est une vallée de larmes, on est bien d’accord ? »
Lorsque le journaliste, Luis Molina, photographie la foule attendant d’être guérie : « Il vit alors la ligne tracée par les éclopés, une faible trace d'humanité, pourtant bien réelle. Au loin, le chapiteau de la fête foraine, le rectangle poinçonné par les stands colorés dans la poussière et les mirages de chaleur. Plus loin encore, comme un ultime rempart, l'océan. Et Luis Molina ferait là, à cet instant, dans les conditions difficiles d'un contre-jour et d'une position précaire, sa plus belle photo. C'est souvent comme ça, d'ailleurs, il faut cette autre sorte de miracle pour que tout converge. Légèreté. Rapidité. Exactitude. Visibilité. Multiplicité. Convergences pour dire la vie au plus près. Luis Molina avait réussi à photographier le désarroi, l'immensité du désarroi. Et l’espérance aussi. L'espérance.
Le cardinal Carter : « Une sainte devenue martyre, voilà ce qu’il nous faut, insiste Carter. Le martyre permettrait d’effacer et de transcender le passé de cette jeune fille, quels que soient son métier et sa condition. »
du même auteur : Derrière les panneaux, il y a des hommes - Les corps solides