Trois époques, trois narrateurs, un seul pays : l’Irlande. En 1920, Jer, un ancien combattant de la Première guerre, vient de perdre sa sœur adorée, Mamie, et en veut au mari de celle-ci, alcoolique, qu’il tient responsable de sa mort. Malgré ses envies de meurtre, il finit par assister aux obsèques. En 1911, Nancy raconte la dureté de sa vie, son emploi de bonne à tout faire, sa rencontre avec Michael Egan, cet homme charismatique qui lui a fait deux enfants, Mamie et Jer, et qui a disparu parce qu’il était déjà marié ; cette emprise dont elle a difficilement réussi à se détacher. En 1982, Nellie raconte elle aussi son passé douloureux, l’enfant qu’elle a perdu dès ses premières heures de vie, la pauvreté qu’elle a réussi à éloigner un peu, rien qu’un peu, la fin de son existence, entourée de ceux qu’elle aime, et les souvenirs avec ce merveilleux père, Jer, qu’elle chérissait tant.
J’ai aimé le contexte de cette île isolée de Clear Island, l’âpreté de ces vies misérables où l’amour savait tout de même se frayer une place digne et noble, j’ai aimé que la chronologie soit bousculée pour mieux comprendre - dans le deuxième chapitre - l’histoire entre Nancy et Michael. Enfin, j’ai surtout aimé cette écriture efficace et lumineuse, embellie d’images marquantes. Si l’ensemble est sombre et souvent tragique, des interstices de lumière emplis de courage et de persévérance parviennent jusqu’au lecteur. Les portraits de Nancy et Nellie, ces mères courage capables d’abnégation, forcent le respect. L’auteur sait nous emmener dans son univers (l’œuvre est en partie autobiographique) avec une intelligente subtilité, décelant la pépite d’or cachée dans la boue de ces vies malchanceuses. Un auteur dont j’aimerais poursuivre la découverte.
Merci à Jérôme à qui j’ai piqué l’idée de lecture !
« Ma vie ressemble à des traces de pas dans un champ enneigé, où beaucoup de détails demeurent dissimulés. Seuls le pire et le meilleur subsistent, ce qui a eu le plus d'impact. »
« Chaque fois que je la regarde, j'ai un coup au cœur, car je crois - étrangement, j’en suis même certaine - que personne ne meurt vraiment, pas si le même sang coule dans les veines de sa version plus jeune. Elle a les yeux de ma mère : cette nuance exacte d'argent fourbi qu'a l'océan les jours d'hiver, et je n'avais pas vue depuis près de cinquante ans. »
Cet instant tragique où père, mère et grand-père vont enterrer, seuls, leur bébé : « Les premières lueurs du crépuscule apparaissaient, mais nous étions déjà dans cette période de l'année où les jours rallongeaient, aussi la nuit dont nous avions besoin pour dissimuler ce que nous devions accomplir demeurait-elle encore lointaine. »