Dites-vous que Dans la forêt est mon roman fétiche que je classerais même Coup de cœur hors catégories de tous les temps... alors se voir offrir la suite du livre, ça émeut ! (Merci Tiphanie !)
Eva a accouché d’un petit garçon à la fin de Dans la forêt. Les deux sœurs ont élevé ce bébé appelé Burl et nous voilà quinze ans plus tard, au fin fond de la forêt, coupés du reste du monde. Burl et ses deux mères vivent dans une capane, dorment souvent à touche-touche, cohabitent avec les inhalants (les animaux) et les exhalants (les végétaux) dans une harmonie plutôt heureuse faite de chasse, de cuisine, de bricolage, de jeux, d’histoires racontées et inventées, de danses. Le soir du solstice d’été, c’est normalement la fête mais cette année-là, il est trop dangereux d’allumer le traditionnel feu de joie parce qu’il n’a pas plu depuis trop longtemps et que le risque d’incendie est grand. Le trio décide d’aller au sommet de la montagne et c’est là que Burl découvre, au loin, un feu. Il n’a désormais plus qu’une seule idée en tête : retrouver les humains qui en sont l’origine. Les brèves rencontres par le passé avec les autres hommes ne sont cependant pas les meilleurs souvenirs de Nell et Eva et rejoindre la plaine (et les hommes) devient source d’âpres discussions. Finalement, c’est Nell qui décide de partir à la découverte d’un monde dont les trois ignorent tout, vraiment tout...
Expliquer pourquoi on adore un roman n’est pas toujours chose aisée. J’ai retrouvé cette plume si particulière (et, avec tous ces néologismes, la traductrice a fait des merveilles !), vivante et colorée, avec cette impulsion primitive et viscérale qui va à l’essentiel comme les protagonistes de cette histoire absolument dingue. Le rapport à la nature prend encore davantage d’importance dans ce tome-là puisque les personnages ne vivent que par, pour et avec la nature. Il n’en demeure pas moins que cette question du manque de l’autre, de la curiosité de Burl pour les autres gens sonne d’une justesse évidente pour cet adolescent qui n’a jamais vu que ses deux mères. Des contacts, il va y en avoir, je ne vais rien dévoiler mais j’ai été étonnée, heurtée puis j’ai compris les choix judicieux de l’autrice. Même si je garde ma préférence pour Dans la forêt, c’est une lecture qui donne le vertige, qui absorbe complètement, qui engloutit dans un espace-temps à la fois si loin et si proche de nous. Avec la réélection de Trump, elle a une saveur hélas ! très actuelle et un avertissement clair. Au-delà de l’aspect écologique, le roman réfléchit aussi sur l’éducation, l’humanité, la relation entre les humains, nos vrais besoins... et, ce qui ne gâche en rien le plaisir : les références littéraires sont nombreuses (amoureux de Tolkien, foncez !) Un roman – à part - qui m’accompagnera longtemps encore.
--- COUP DE CŒUR ---
Quelques beaux néologismes : « découvercler la marmite, (...) le vent qui fait valsiller les flammes, (...) elle s’avançait dans le pré sombrissant, (...) on s’apprête à solider nos espoirs noutrois. »
« Au contraire, je trouve que c'est le monde dAavant qui était étrange, quand les gens mangeaient des choses qu'ils n'avaient jamais vues vivantes, qu'ils voyageaient en restant assis et pouvaient passer toute leur vie entassés dans des villes où il leur était impossible de toucher la Terre ou de voir les étoiles. Ou quand ils chiaient dans de l'eau et se servait de papier-arbre pour essuyer leur trou. J'ai été élevé dans une Forêt vivante avec des arbres et des étoiles et des histoires, qu'est-ce qu'il y a d'étrange à cela ? »
« Je sais que mes mères vont me dire d'oublier mon intérêt pour les gens, de ne pas l'entretenir en essayant de sculpter un homme. Mais ce soir, au lieu de fabriquer quelque chose que le monde n'a jamais connu, à partir des dépouilles d'autres inhalants, je veux trouver tout l'humain caché dans cette branche. Ce soir, j'aime l'idée de fabriquer quelque chose que je n'ai jamais vu, mais que j'ai seulement été. Je me demande si fabriquer une créature qui a ma forme pourrait me rapprocher du fait que je suis un homme en devenir. Je me pose davantage de questions ces temps-ci sur ce que cela veut même dire être un homme, et à quel point le sens qu'on donne à ce mot est important. »
Et, contre toute attente, je participe au challenge SF de Sandrine qui souhaiterait qu'on lise une oeuvre de science-fiction par mois en 2025.