- Ou notre long baiser si longtemps retardé -
Laurent Gaudé rend hommage aux victimes directes ou collatérales de ce vendredi 13 novembre à Paris où les attentats ont ravagé insouciance et bonheur, ont tué et blessé. Une soirée bien douce pour un mois de novembre, propice à boire un verre en terrasse. Les premiers tirs ne ratent pas leur cible choisie tellement au hasard, les secours arrivent effarés devant une telle boucherie, les blessés et les morts sont évacués puis il faut nettoyer les lieux du carnage : Laurent Gaudé n’omet personne dans ce déroulé méthodique des faits. Les proches des victimes ne sont pas oubliées, ceux qui appellent des dizaines de fois un portable qui ne répondra plus, les secouristes et les médecins sont évoqués également, ceux qui doivent « trier par gravité », ceux qui n’ont jamais vu de telles horreurs malgré leur expérience. Laurent Gaudé donne même la parole aux morts, ces êtres qui étaient là, à rire, à s’aimer, à se séduire, à se retrouver, à trinquer, et qui d’une seconde à l’autre, sont passés du côté de la Mort.
Ce n’est pas une lecture agréable à l’approche des fêtes de Noël. Ce n’est pas une lecture agréable quelque que soit la période de l’année. Elle remue des souvenirs et place en exergue les souffrances des protagonistes qu’ils soient réels ou fictifs. La plume de Laurent Gaudé a cela d’impeccable qu’elle trouve le mot juste, n’en dit ni trop ni pas assez. C’est le terrible Hasard qui choisit ses victimes même si celui ou celle qui a touché de près ou de loin ce tragique événement en ressortira irrémédiablement changé. A l’instar de ces guerres dont il faut entretenir la mémoire, il faut parler et reparler sans cesse de ces attentats qui ont meurtri la France et heurté à tout jamais tant de personnes, Laurent Gaudé le fait admirablement bien, tout en retenue et en pudeur. Parce qu’il donne la parole à ceux qui ne sont plus, le texte devient lumineux et humaniste, empli d’un amour et d’une tendresse pour tout un chacun, distillant une beauté incroyable.
« Toi, oui. L’autre, pas. A une seconde près, un centimètre près. Avoir de la chance ou pas. »
« Le peuple des blessés est immense. En premier marchent les victimes. Mais la foule est nombreuse derrière elles. Il y a ceux qui étaient dans l'immeuble d'en face et ont vu des gens courir et mourir. Ils auront peur désormais. Il y a ceux qui resteront hantés par une image, qui feront des cauchemars récurrents. Ceux qui vivent à Paris et chez qui une inquiétude nouvelle s'est déposée. Comme à chaque attaque. C'est la mémoire du sang, la mémoire de ces minutes de terreur où nos vies deviennent fragiles. La rue des Rosiers. L’attentat de la rue de Rennes. Celui de la station Port-Royal. Du métro Saint-Michel. De Charlie et de l’Hyper Cacher. Nous portons la mémoire de ces coups, de ces cris, de ces vies emportées. »
De Laurent Gaudé : Ouragan, Cris, La Porte des Enfers, Le Soleil des Scorta, Chien 51, Grand menteur, La mort du roi Tsongor, Eldorado, Salina