L’auteur se fait le porte-parole de ses parents et de leur vie durant la Seconde guerre mondiale. Nés tous les deux en Moselle, non loin l’un de l’autre, père et mère ont dû fuir leur maison le 1er septembre 1939 ; la plupart portaient leur costume le plus élégant puisqu’on ne pouvait pas tout emporter... Sur des charrettes de paysan puis dans des wagons à bestiaux, ils ont été emmenés dans la « France de l’intérieur », là où on ne parle pas la même langue, où on ne cuisine pas de la même manière. Un an à passer dans le Pas-de-Calais pour le père, dans la Vienne pour la mère puis retour à la maison, puisque les Allemands « étaient partout » et qu’ils avaient été désignés « allemands ». Sous le joug du Troisième Reich, il est interdit de parler français, les noms (des villes, des rues, des statues, même des gens) deviennent allemands. Vient le moment où le père est mobilisé puis enrôlé dans la Waffen-SS et incorporé de force à Munich, il est désormais un Malgré-nous. Après des combats où il avouera plus tard avoir volontairement tiré à côté – toujours - après la libération par les Américains, il est fait prisonnier pendant quatre mois, toujours loin des siens et sans nouvelles d’eux.
Habitants d’Alsace ou de Lorraine, même combat, celui d’être ballottés de droite à gauche, celui de se détacher du foyer, celui de se faire voler une identité. C’est avec une infinie tendresse pour ses parents et beaucoup de pudeur et de respect pour les Malgré-nous que Joël Egloff s’empare de ce sujet (est-il encore méconnu par certains ?). Il s’adresse constamment à son père à la 2è personne au présent, et à ce « tu » on s’attend presque à ce que le père réponde « oui, ça s’est passé comme ça... ». Le narrateur tente de combler les vides, les blancs, les défauts de mémoire, il devine et suppose, imagine parfois mais pour mieux rétablir l’ambiance d’antan, ce climat de malaise. Il me semble que l’acceptation était le point commun de tous ses soldats enrôlés malgré eux. La désertion existait cependant mais ce sont les membres de la famille qui en payaient souvent le prix. L’auteur réussit brillamment à rendre hommage à toute une population, à tous ces êtres qui n’étaient que de pauvres pions sur le grand échiquier de la guerre, le tout est servi par une écriture élégante entourée d’un voile de douceur. J’ai beaucoup aimé.
Une excellente BD sur le même thème : Le Lierre et l’Araignée de Grégoire Carlé.
« Cela fait des années, pourtant, que le plan est prêt et tenu secret, car on le pressent, c'est ici que sera inaugurée la guerre. Ce sont vos prairies qu'on envisage comme champs de bataille et vos villages sur lesquels pleuvront les premiers obus. C'est sur vos terres que viendront mugir ces féroces soldats. Mais ils n'égorgeront ni vos fils ni vos compagnes, car vous serez déjà loin, et leurs blindés s'échoueront sur ces récifs de métal, dressés tout exprès pour briser leurs chenilles. »
« Tes parents sont nés allemands, de parents nés français. Ils sont devenus français, ils redeviendront allemands s’il le faut et, ils ne le savent pas encore, mais ils mourront français. Chez vous, bien plus qu’ailleurs, on sait que le vent tourne souvent et qu’il faut s’en protéger, et en dépit des soldats qui vont et viennent, vous êtes restés et vous resterez les mêmes. »