« badjens » peut signifier « effrontée, espiègle » mais aussi « du mauvais genre », et Zahra l’est, du mauvais genre, puisqu’elle est née fille, immédiatement rejetée par son père déçu (et s’il l’avortement n’avait pas été si coûteux, elle n’aurait jamais vécu.) C’est sa mère qui lui a donné ce surnom de « badjens » afin de stimuler peut-être ou du moins d’approuver secrètement l’esprit de rébellion de la jeune fille. Dans cet univers carcéral iranien pour les filles et les femmes, le voile (le maghnaé) est non seulement de rigueur mais la moindre mèche de cheveux qui s’en échappe peut jeter la « coupable » en prison. La fille vaut la moitié d’un garçon, peut-être moins, puisque Zahra est « oubliée » dans un incendie qui ravage son appartement. Quelles conséquences pour la plupart des femmes en Iran ? une hypocrisie constante, une schizophrénie assumée puisqu’il s’agit de se montrer comme il faut (pieuse, docile, invisible) et de faire ce qu’on veut dans une sphère privée, clandestine. Badjens s’émancipe à travers les réseaux sociaux, s’épanouit avec les séries Netflix, devient tatoueuse dans sa chambre pour exprimer sa révolte trop longtemps contenue, mais une grand-mère bigote et un père despotique veillent à ce qu’elle ne fasse pas de vagues. Pourtant la révolte gronde partout dans le pays : les voiles tombent, on rase ses cheveux, les foulards brûlent, les graffitis se multiplient et la jeune fille, avec sa mère devenue « complice silencieuse » deviendra une des principales actrices de cette dangereuse révolution.
Ce n’est pas la première fois que Delphine Minoui, issue d’une famille franco-iranienne, évoque le pays d’origine de son père. Elle le fait encore une fois ici avec une passion et une énergie contagieuses et le lecteur est immédiatement embarqué dans ce monologue d’adolescente qui grandit contre les diktats trop longtemps répétés, contre une mentalité moyenâgeuse. La mort d’une Iranienne, Mahsa Amini, décédée après avoir été arrêtée pour « port de vêtements inappropriés », après avoir été battue par les policiers, déclenche des manifestations et des soulèvements inédits, poursuivant le mouvement déjà bien entamé de ces femmes qui combattent dans l’ombre et en silence. Il est tout de même incroyable qu’on laisse faire ce genre de pratique comme la lapidation en cas d’adultère, la peine de mort pour celle qui tue son violeur... L’autrice rend hommage à ces femmes courageuses, celles qui luttent en secret comme la mère de la narratrice avec sa « façon d’embrouiller tout le monde », celles qui tentent d’affirmer au grand jour et dans un péril constant leurs revendications, leur envie de vivre tout simplement. Le roman se lit en apnée, avec des sentiments mêlés d’impuissance et d’admiration. Une lecture nécessaire que je passe tout de suite à ma fille.
De la même autrice : l’excellent et hilarant Pintades à Téhéran et L’alphabet du silence (qui se passe en Turquie).
« Je porte le désespoir comme je porte le foulard.
Plus je grandis et plus l'angoisse m'envahit.
Je me sens obligée de me justifier pour tout.
Comme si j'avais pêché.
Comme si j'étais coupable.
En fait, oui, je suis coupable.
D'être une femme.
D'avoir des cheveux.
De rire.
De parler.
De penser.
De chanter.
De danser.
De vouloir vivre.
Moi qui n'aurais pas dû naître. »
Arrêtée pour avoir laissé échapper son voile : « Un morceau de chair accusé d’avoir perdu son emballage. »
« Pour ma mère, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise trajectoire. Seule la répétition mène à la perfection. »
« Mon corps, mon choix ! »