- Comment nous avons condamné nos enfants -
Fin XVIIè siècle. Abigail Hobbs vit à Salem Village avec ses parents, sa vie modeste mais heureuse est petit à petit entachée pour différentes raisons. On lui explique que, parce qu’elle est réglée, elle ne peut plus accepter le cadeau d’un garçon sans lui offrir quelque chose en contrepartie, qu’elle est désormais une tentation pour tous les hommes. Contrairement aux recommandations, elle va se rapprocher d’un Indien à la peau noire qu’elle rencontre régulièrement dans les bois et avec qui elle finit par danser, emmenant avec elle son amie Betty. On les surprend et les accuse de côtoyer le Diable. Et puis, il y a cette femme qui prépare d’étranges potions à base de plantes, ces deux autres – mère et fille – qui tiennent l’unique taverne du village, c’est étrange, et cette mendiante... et ces filles qui tentent de lire l’avenir dans des œufs cassés. En bref, toutes les femmes originales et particulières, toutes celles qui se démarquent et se distinguent, les vieilles stériles et les jeunes épileptiques, mais aussi celles qui ont vu ce qu’elles n’auraient pas dû voir, sont menacées. La quiétude du village fait place à un sentiment omniprésent de menace et de suspicion et les femmes accusées de sorcellerie sont arrêtées avant d’être pendues.
Dense et imagé, aussi violent et détraqué que certains esprits de l’époque, l’album reprend cet épisode connu qui mêle obscurantisme, misogynie et ignorance crasse. L'auteur joue un peu avec la réalité historique, me semble-t-il, mais l'état d'esprit y est... On comprend bien, dans toutes les ramifications de cette affaire sordide que tout vient de la peur de l’inconnu mais aussi des fautes commises par les hommes qui, trop honteux et orgueilleux pour les admettre, rejettent le mal (le Mal !) sur les femmes. L’ensemble baignant dans un puritanisme délétère, on obtient des condamnations stupides et absurdes dans un monde où naître femme est déjà une sacrée tare. J’ai beaucoup aimé les illustrations passant de la folie diabolique à l’apaisement de la nature et les dernières planches (comme la couverture d'ailleurs), de toute beauté, allient parfaitement la Femme et la Nature. A mettre entre toutes les mains !
« A partir d'aujourd'hui, tu n'es plus une enfant. Pour les hommes, tu es une proie, tu le resteras jusqu'à ton mariage. Tu ne dois plus leur parler en public. Sauf si tu es accompagnée. À partir d'aujourd'hui, tu dois être invisible. Quand tu marcheras dans la rue, tu regarderas le sol. Tu seras courtoise, tu répondras par un hochement de tête. Tu vas saigner, ma fille, tous les mois ton cycle reprendra. C’est ta punition pour devenir une tentation aux yeux des hommes. »
« C’est la liberté qui me rend gaie La liberté nous donne du courage. »