-Requiem pour le roman policier-
C’est après une conférence sur le roman policier et non loin du col de Kerens, sur une route glacée et enneigée, que le commandant H. raconte au narrateur l’histoire surprenante de Matthieu, un détective qui a mal tourné. Promu à un brillant avenir et en passe d’être muté en Jordanie, le détective Matthieu est confronté au meurtre d’une fillette, Gritli, retrouvée tuée à coups de lames de rasoir dans une forêt. Les villageois en colère sont unanimes : c’est le colporteur le coupable, plusieurs l’ont croisé non loin du lieu du crime. Allant un peu vite en besogne, Mathieu accepte de l’arrêter et de l’interroger ; ses hommes tortureront l’accusé pendant des heures jusqu’à ce qu’il avoue le crime qu’il n’a pas commis ... et se suicide. Matthieu, parce qu’il a fait la promesse aux parents de la petite Gritli de retrouver le meurtrier, va tout mettre en œuvre pour parvenir à ses fins, au détriment de sa carrière et des injonctions de ses supérieurs. S’il ne connaît pas le meurtrier, il va tenter de lui présenter une nouvelle victime qu’il choisira parmi des filles du même âge que Gritli. Il héberge l’ « appât » avec lui et ne la quitte plus des yeux. Mais la vérité ne sera révélée que des années plus tard et, entretemps, le détective aura souillé sa vie et son honneur...
Décidément, j’aime tout ce que je lis de cet auteur suisse. Par le truchement d’un récit enchâssé, on suit avec le commandant H. l’évolution de ses impressions et de ses réactions face aux méthodes de travail tout à fait particulières de Matthieu. C’est un homme qui tente coûte que coûte de résoudre un mystère, de rétablir une vérité qui semble n’avoir d’importance véritable que pour lui. Il va élire domicile dans une station-service idéalement située pour ne pas manquer le présumé coupable et s’accompagner d’une mère et de sa fille pour brouiller les pistes. Ce court roman policier met aussi en avant la parole de l’enfant (Gritli avait dessiné son meurtrier en la figure d’un géant portant un hérisson) et l’incompétence de la police, trop heureuse d’avoir – rapidement - trouvé un coupable. L’écriture est, comme toujours chez Dürrenmatt, ciselée et efficace et la construction du récit intelligente avec cette mise en abyme du genre policier, ses réflexions sur ce que doit être et ne pas être un polar. A noter que l’auteur a d’abord écrit le scénario du film Ça s’est passé en plein jour (1958) et que ce roman en est l’adaptation. Plus tard, en 2001, c’est Sean Penn qui reprend l’histoire pour réaliser The Pledge (avec Jack Nicholson et Robin Wright).
Un autre polar de l’auteur : Le Juge et son Bourreau.
L’excellent La Panne.
Et je ne peux que recommander La Visite de la Vieille dame, une de mes pièces de théâtre préférée.
« Je ne sais rien de l'assassin. Il m'est impossible de prétendre le rechercher. Ce que je peux chercher, par contre, c'est sa prochaine victime. J'en sais assez pour trouver son type de fillette et pour lui jeter l'enfant comme un appât. »