Je ne connaissais cet auteur que de nom.
Je ne vais pas tourner autour du pot : cette lecture est un formidable coup de cœur ! Elle démarre déjà par une superbe épigraphe : « Je ne crois pas comme ils croient, je ne vis pas comme ils vivent, je n’aime pas comme ils aiment... Je mourrai comme ils meurent... » (de Marguerite Yourcenar) et se poursuit avec la vie de l’écrivain, du moins une grande partie de ses trente premières années. Vivant seul à Manosque dans une petite maison au bord de la forêt, il se souvient de sa petite enfance : les trois livres qu’on lui lisait en boucle (Les Misérables, Le Comte de Monte-Cristo et Sans famille), l’école buissonnière, les vols et larcins qu’il commettait avec la racaille de son quartier marseillais, le be-bop en boîte de nuit, les nombreuses exclusions scolaires. Il va définitivement quitter l’école après avoir lancé une bonne droite dans le foie du directeur de l’école privée (ce dernier vomit sur ses chaussures devant 500 élèves). Fuyant seul à Londres, il vit en faisant la plonge dans un petit resto puis rejoint l’Andalousie. Un retard d’un mois au régiment d’infanterie à Verdun où il est incorporé l’envoie en prison où il retrouve un copain d’enfance, Ange-Marie Santucci, un truand rebelle qui lui enseigne l’esprit de révolte mais aussi et surtout le goût de la lecture et le pouvoir des mots. De la prison à la vie de déserteur, René n’a besoin que de livres et de soleil, de temps en temps un croissant et un café au lait sur une terrasse du Sud.
Quel voyage ! Quels voyages ! René Frégni est le symbole même de la liberté, la liberté totale qui rejette les contraintes et les règles au profit d’une sobriété heureuse. Comment ne pas admirer cette vie jalonnée des lectures de Giono, Dostoïevski, Rimbaud, Maupassant, Céline, Camus, ... cette vie à part rendue possible par une débrouillardise hors du commun et pourtant toute naturelle, anoblie par une si belle simplicité. L’histoire des errances du jeune homme, de son amour pour la lecture se poursuit par son entrée dans le métier d’écrivain ; il gribouille quelques mots sur un bout de serviette, sur un carnet, avant d’écrire plus, toujours plus, sur un grand cahier rouge, avant de se faire rejeter par plusieurs maisons d’édition pour se faire enfin accepter dans la ronde des écrivains. J’ai pleinement, intensément et goulûment adoré ce livre, il a fait écho à mes aspirations les plus profondes, m’a émerveillée de la première à la dernière page. Un véritable enchantement. Bien sûr que je vais poursuivre ma découverte de cet auteur !
Merci pour le cadeau indirect (ce livre a été offert à mon mari par une personne qui a décidément bon goût).
« J'ai passé toutes ces années à ramasser des mots partout, au bord des routes, dans les collines, sur les talus du printemps, le banc des gares, le quai des ports, dans la rumeur sous-marine des prisons, les petits hôtels dans lesquels je dors parfois, les villes que je traverse, les mots que j'aimerais prononcer lorsque je regarde, ébloui, certains visages de femmes, ceux que soulèvent en moins l'injustice et l'humiliation, les mots qui font bouger mon sommeil, la nuit, et qui sont sans doute la clé de tous les mystères. Je ramasse un mot, je le regarde, le flaire, le caresse, je le mets dans ma bouche, comme un petit galet rouge ou vert de rivière, puis dans l'une des mille poches secrètes que je me suis inventées. Je voyage avec ce bourdonnement de mots qui ne pèse rien, ce nuage d'émotion. Chaque jour je marche, je parle avec tout ce qui bouge autour de moi et je ramasse des mots. Je ne possède que cette maison de mots. »
« Dire une fois dans sa vie non, non à tout ! Quoi qu’il se passe, quel que soit le risque, faire un pas de côté. Secrètement, je remerciais Ange-Marie, dès le premier jour, là-bas, il m’avait dit : Ne rampe pas, ne te couche pas devant eux, tu n’as qu’un seul devoir, désobéir ! »
« Je ne possédais rien, même pas un lit pour dormir, une table pour manger, une chaise pour m’asseoir. Deux chemises et mon blazer suspendus à une ficelle tendue dans la chambre. J’avais la lumière immense de la mer, l’odeur du maquis, l’eau fraîche d’une source, tous ces arbres qui allaient fleurir, que je comprenais maintenant. J’étais l’homme le plus riche du monde, ma liberté était sans limites ! »
« Maintenant j'écrivais sous un ciel libre, tôt le matin, ou au milieu de la nuit. J'écrivais ce qui me sautait dessus. Et je ne pouvais ne rien écrire pendant des semaines. Je me levais le matin, préparais mon café au lait et ouvrais la porte sur la beauté du monde. Chaque heure m'appartenait. J'étais chaque jour ce que j'inventais. »