En 1995, un garçon pêche la truite avec son grand-père, ce moment de complicité et la présence de la rivière permettent à l’aïeul de raconter ses souvenirs de guerre à son petit-fils. En effet, au début de la 2e Guerre mondiale, des centaines de milliers d’Alsaciens ont fui la région sous la contrainte ou pour éviter de redevenir allemands. Ceux qui sont restés ont dû cohabiter avec l’ennemi qu’ils détestaient. On a brûlé certains livres, on a changé les enseignes, les noms de rue, les noms de famille bien français pour les germaniser (la place Broglie – chère à mon cœur – est devenue la place Adolf Hitler) ; même les lettres C et F des robinets ont dû être modifiées. On a tenté un lavage de cerveau express auprès des habitants généralement dubitatifs et récalcitrants. Le narrateur, un adolescent accompagné d’un groupe de copains, va créer la « Feuille de Lierre », une section de résistance bien décidée à lutter contre ceux qui représentent « l’Araignée » (la croix gammée). Les jeunes vont subtiliser des grenades trouvées dans un fort et les jeter dans la rivière où ils avaient l’habitude de pêcher et multiplier des petits actes qui vont apporter leur pierre à l’édifice de la Résistance mais ils seront dénoncés puis arrêtés.
Trompeuse, la couverture tait tous les secrets que révèlent cette bonne grosse BD de qualité. En tant qu’Alsacienne, j’ai été bouleversée de lire cet hommage rendu à un peuple malmené et souvent mal compris depuis des décennies. J’ai beaucoup appris et des souvenirs d’enfance ont ressurgi, les « Français de l’intérieur », plus particulièrement les Parisiens, je les ai longtemps entendus surnommés les « Hasebocks » sans en connaître l’origine ; c’est une référence faite à leur couardise, les Français ont abandonné les Alsaciens, ont fui comme des lièvres. De nombreuses insultes en alsacien jalonnent le recueil et si je comprends le dialecte sans savoir le parler, je remercie sincèrement l’auteur de raviver ces particularités alsaciennes et uniques qu’on a tendance à oublier. Je me dis qu’enfant, plus encore qu’aujourd’hui, j’avais vraiment le sentiment d’appartenir à un peuple positionné le cul entre deux chaises entre les Hasebocks et les Schwobs (surnom pas sympa donné aux Allemands), il en fallait du caractère pour tenir, coincés entre ces deux mondes ! Les dessins rendent honneur à l’histoire narrée, tantôt bucoliques et champêtres pour les scènes de pêche, tantôt rebelles pour celles consacrées à la 2e Guerre mondiale. La récurrence des vignettes consacrées à une forêt mystérieuse, protectrice et sauvage m’a beaucoup plu. Je ne sais pas si cette BD pourra toucher tout le monde mais elle a parlé à mes tripes, à mes origines et m’a fait penser à mon regretté papa, ardent défenseur de la culture alsacienne.
--- COUP DE CŒUR ---
« Les rivières ont toutes une odeur, difficile à décrire. Peut-être elle de l’étreinte de l’eau et de la pierre... »
« Mais le lierre continue de poisser à la lumière de la lune. Contrairement aux idées reçues, il n’étouffe pas l’arbre sur lequel il s’installe. Il s’arrête de croître à l’ombre de sa couronne, évitant la lumière crue et offrant au contraire à son hôte un manteau protecteur et un refuse contre toute une faune prédatrice de parasites. C’est un allié. »
« Avant de moisir dans la cabane des jeunes, on avait écopé de la disciplinaire, où l'on nous faisait perdre 20 kilos en un mois. Rien de mieux que la faim pour briser toute camaraderie. Nous étions affamés en permanence et ne pensions qu'à une chose : bouffer. Ça nous rendait fous et les journées étaient interminables. À 05h30, le camp se réveillait. Les chiens lâchés pour la nuit rentraient au chenil. De toute manière, dormir était impossible. Et après un énième appel où nous devions nous compter nous-mêmes, on nous rassemblait dans la cour pour nous affecter au commando extérieur : scierie, carrière, bûcheronnage... Les travaux étaient harassants, mais à l'extérieur du camp des gens de la vallée arrivaient parfois à nous passer un peu de nourriture. »