Heureusement que le stimulant challenge Les classiques c’est fantastique m’a à nouveau poussée vers cette autrice que j’avais découverte avec les sublimes Mémoires d’une jeune fille rangée. Ce mois-ci, les Simone sont mises à l’honneur.
Dans un court roman autobiographique, l’autrice met en lumière sa jeunesse marquée par la rencontre avec Zaza, nommée Andrée ici, une fille de son âge pour qui elle éprouve une grande admiration et un amour incomparable. La vie aux côtés d’Andrée qu’elle croit connaître mais qu’elle découvre au fil des mois et des années coïncide avec son adolescence. Vient alors la période de rébellion face à l’ordre établi, Simone (nommée ici Sylvie) va s’éloigner de la religion pour finir par admettre qu’elle ne croit plus en Dieu, faire des choses défendues (qui peuvent, certes, faire sourire aujourd’hui puisqu’il s’agit de manger des pommes entre les repas et de lire Alexandre Dumas en cachette !) et grandir aux côtés ou peut-être dans l’ombre d’Andrée. Les filles deviennent des étudiantes et Andrée s’éprend du meilleur ami de Sylvie mais, si c’est amour est partagé, les fiançailles tant attendues n’auront pas lieu. C’est peut-être cette énième contrariété qui va conduire Andrée à la mort.
Si c’est le livre d’une amitié qui se clôt par une tragédie, il s’agit aussi de la photographie d’une époque précise, celle du premier tiers du XXè siècle, avec ses contraintes, sa misogynie, ses mœurs parfois étriquées. J’ai beaucoup aimé l’ambiguïté de la relation entre les deux jeunes femmes avec une réciprocité qui n’est jamais acquise, des doutes et des questionnements qui sont ceux d’un couple d’amoureux. La plume de Simone de Beauvoir embaume un parfum de douceur qui enivre légèrement, on se laisse très vite glisser dans son univers où on revêt une « robe bleu marine avec un col de piqué blanc ». On comprend également à quel point cette amitié qui s’est terminée dans la souffrance et le malheur a pu marquer durablement notre écrivaine. L’ouvrage bénéficie d’un cahier tout à fait appréciable comprenant des photos de Zaza et Simone et des lettres authentiques échangées entre les deux femmes.
« Andrée aurait-elle été triste si on nous avait empêchées de nous voir ? Moins que moi, assurément. On nous appelait les deux inséparables et elle me préférait à tous mes camarades. Mais il me semblait que l’adoration qu’elle avait pour sa mère devait pâlir ses autres sentiments. »
« Depuis cette nuit où dans la cuisine de Béthary, j’avais avoué à Andrée combien je tenais à elle, je m’étais mise à y tenir un peu moins. »
« un mariage d’amour, c’est suspect. »
Extrait d’une lettre de Simone datant de novembre 1929 : « C'est toujours à chaque page bonheur, bonheur en lettres de plus en plus grosses. Et je tiens à vous plus que jamais en ce moment, cher passé, cher présent, ma chère inséparable. Je vous embrasse, Zaza chérie. »