Une lacune à combler... je n’avais jamais lu Pierre Loti !
Paimpol est rythmé tous les ans à la fin août par le retour des pêcheurs d’Islande. A bord de La Marie, Yann, grand gaillard un peu rustre de 27 ans, beau comme un dieu, et Sylvestre son petit frère de cœur de 17 ans. Marguerite, surnommée Gaud, assiste à ce retour des marins. Elle tombe amoureuse de Yann pour le plus grand plaisir de Sylvestre qui aimerait tant les voir se marier. Mais, malgré leurs rapprochements, les longues discussions, les tendres sourires, Yann ne se décide pas à demander la main de Gaud. Il faudra attendre quelques tempêtes de mer, le départ de Sylvestre pour l’Asie, de nombreuses lettres écrites par la vieille Moan, la grand-mère de Sylvestre, qui n’a pas son pareil pour divertir les pêcheurs avec ses savoureuses anecdotes, donc il aura fallu deux ans d’attente pour Gaud pour se voir enfin mariée avec Yann. Mais cette joie sera de courte durée.
C’est un très beau roman ! D’une part par ses paysages tantôt bretons tantôt islandais et parfois maritimes, d’autre part pour la finesse des sentiments exprimés, cette humanité subtile qui émane des relations entre les personnages. Comment ne pas tomber sous le charme de ce Yann qui se refuse d’abord à épouser Gaud quand elle est encore riche et un peu Parisienne dans ses tenues et qui semble l’aimer davantage quand elle est ruinée et seule ? Des rumeurs disaient qu’il se ne marierait qu’avec la mer... Et puis il y a cette immersion dans ce petit village de Ploubazlanec où la vie au XIXè siècle est bien rude. Une admirable simplicité et une innocence assez majestueuse vont lier deux êtres même si une fin tragique les séparera. J’ai beaucoup pensé à Vol de nuit de Saint-Exupéry pour lequel j’avais évoqué la pudeur et la noblesse de l’écriture que j’ai retrouvées ici. Dans les deux romans, la mort côtoie la vie au quotidien avec une résignation à la fois douloureuse et très élégante. A noter qu’une version audio gratuite est disponible, et si le rythme de lecture est un peu lent, le texte est accompagné de bruitages et de musique bretonne qui permettent de s’immerger totalement dans ce beau roman. (https://www.youtube.com/watch?v=P5zTNH2LWhE)
« Et malgré leur allure de fuite, la mer commençait à les couvrir, à les manger comme ils disaient : d'abord des embruns fouettant de l'arrière, puis de l'eau à paquets, lancée avec une force à tout briser. Les lames se faisaient toujours plus hautes, plus follement hautes, et pourtant elles étaient déchiquetées à mesure, on en voyait de grands lambeaux verdâtres, qui étaient de l'eau retombante que le vent jetait partout. Il en tombait de lourdes masses sur le pont avec un bruit claquant et alors la Marie vibrait tout entière comme de douleur. »
En Islande, quand le soleil ne se couche plus : « Le soleil fait tout le tour, tout le tour, disait-il en promenant son bras étendu sur le cercle lointain des eaux bleues. Il reste toujours bien bas parce que, vois-tu, il n'a pas du tout de force pour monter ; à minuit, il traîne un peu son bord dans la mer, mais tout de suite, il se relève et il continue de faire sa promenade ronde. Des fois, la lune aussi paraît à l'autre bout du ciel ; alors ils travaillent tous deux chacun de son bord, et on ne les connaît pas trop l'un de l'autre, car ils se ressemblent beaucoup dans ce pays. »