Il a fallu qu’on me donne un petit coup de coude (merci Yohann !) pour que j’entame enfin cette lecture. Aucun regret.
Au début du XXe siècle, à Manhattan. Bud est arrivé ici parce qu’il a fui la campagne et surtout un père trop violent. Jimmy Herf perd sa mère avec qui il entretenait une relation fusionnelle et il est recueilli par son oncle et sa tante. Gus, le laitier, se fait renverser par un train et son avocat deviendra aussi l’amante de sa femme Nelly. Cassie, la belle danseuse, souhaite que le monde soit gouverné par une « beauté spirituelle » alors que son Morris ne cherche qu’à lui sauter dessus. Emile, sans le sou, s’échine à séduire Mme Rigaud, gérante d’une confiserie, afin de reprendre l’affaire. Ils sont une bonne dizaine à évoluer sous nos yeux, se battre, rire, tromper, pleurer, bouder, mourir.
Quelle fresque ! une fourmilière géante. Des rencontres, des bousculades, des incartades, des partages, des foules, des masses, bref tout ce qui évoque les multitudes ; et ça fourmille, ça foisonne, ça grouille, ça pullule. C’est Zola à New-York, évoquant par le biais de la fiction le capitalisme, le melting-pot culturel, la corruption, l’éclectisme, le racisme, l’insécurité, l’indifférence ... entre autres. On pourrait parler de superpositions ou de juxtapositions dans la construction de ce roman qui nous donne encore davantage une vision remuante de cette ville fascinante. L’usage de l’énumération ponctue allégrement le récit. Les ellipses tendent à rendre ce livre assez complexe dans sa structure, il ne faut pas y chercher une lecture de plage mais je suis contente d’avoir enfin découvert ce monument américain de plus de cinq cents pages. Les portraits m’ont particulièrement plu comme le prouvent les trois premiers extraits ci-dessous, il s’agit d’une véritable comédie humaine qu’on apprend, certes peut-être pas à apprivoiser, mais à observer avec un regard conciliant et amusé.
« Une femme blonde, à longues dents, arrivait, enveloppée dans une sortie de théâtre saumon. Elle donnait le bras à un homme à face de pleine lune qui portait son chapeau haut-de-forme devant lui comme un pare-chocs. Puis venaient une petite femme frisée qui montrait ses dents en riant ; une grosse femme coiffée d'une tiare avec un ruban de velours noir autour du cou ; deux hommes, l'un avec un gros nez en pied de marmite, l'autre avec une longue figure couleur de cigare... »
« Schmidt était un gros homme qui s’était rétréci. La peau pendait flasque sur ses joues hâves. »
« Une femme avachie sous son imperméable demandait un café au comptoir. Son visage rouge et violacé avait des reflets de viande pourrie. »
« De tous côtés, montait un bruissement de vie qui s'éveille. Elle se sentit affamée et seule. Le lit était un radeau sur lequel elle se trouvait abandonnée, seule, sur un océan grondant. Un frisson lui parcourut le dos. Elle rapprocha ses genoux encore plus près de son menton. »
« Ce qu’il y a de plus terrible quand on ne peut plus supporter New York, c'est qu'on ne sait pas où aller. C'est le sommet du monde. La seule ressource est de tourner en rond, comme un écureuil dans sa cage. »