Devenu pour moi un auteur chouchou, Laurent Gaudé a encore une fois su me surprendre avec ce roman publié en 2008.
En 1980, Matteo, jeune père, voit son fils de six ans, Pippo, mourir dans ses bras à la suite d’une fusillade dans les rues de Naples. Cette tragédie va l’éloigner de sa femme Giuliana surtout lorsqu’il n’arrivera pas à obéir à son injonction, à savoir tuer le coupable, Cullacio. Une rencontre inédite avec un professore persuadé qu’il existe un endroit à Naples où on peut accéder au royaume des morts va complètement modifier sa destinée… et celle de son fils. En 2002, un jeune homme de vingt-huit ans dit s’appeler Pippo, être le fils de Matteo et accomplira une vengeance familiale : il blesse et coupe les doigts de Cullacio, le responsable de la fusillade de 1980 et l’emmène sur la tombe du petit Pippo.
Aux allures gothiques, très sombre et effrayante, l’intrigue n’en demeure pas moins palpitante. Comme toujours, Laurent Gaudé sait rapidement créer un univers, ici les rues de Naples correspondent à ce que j’ai vu – ce grouillement, ce bouillonnement incomparable qui est à la frontière de l’Europe et de l’Afrique, mais il sait aussi décrire des personnages complètement à part. L’acmé du roman se passe dans un endroit fantastique entre la vie et la mort, aux « portes des Enfers », j’ai un peu tiqué lors de la lecture de ce passage où on côtoie des foules d’ombres, la « spirale des morts », le « fleuve des larmes » et autres lieux ignobles et apocalyptiques. Oui, il est question de ramener un mort à la vie. Cette dimension fantastique que j’ai moins aimée n’enlève en rien le talent de l’auteur qui fait la part belle aux relations entre un père et son fils et à cette thématique de la mort, évidemment omniprésente.
« Je me souviens des Enfers. Les salles immenses et vides parcourues par le seul gémissement des âmes mortes dans la souffrance. La forêt des goules où les arbres se tordent sous un vent glacial. Je me souviens des cortèges d’ombres entremêlées qui brandissaient leurs moignons. »
Quelle belle image : « C’est la règle du pays des morts, continua Mazerotti. Les ombres auxquelles on pense encore dans le monde des vivants, celle dont on honore la mémoire et sur lesquelles on pleure, sont lumineuses. »