Je me l’étais promis, après la lecture passionnante de L’étoile du Nord du même D.B John, j’avais envie d’en savoir encore plus sur ce mystérieux pays si effrayant qu’est la Corée du Nord. Quoi de mieux que le récit d’une transfuge nord-coréenne ?
Celle qui va porter sept noms successifs est née dans le nord du pays, non loin de la frontière chinoise. Dans l’ignorance totale des pays qui l’entourent, elle vit heureuse avec sa mère, une vraie battante, qui arrive toujours à ses fins grâce à ses talents en commerce, son père qui aura le droit de voyager en Chine mais qui mourra dans d’obscures circonstances et son petit frère. A l’adolescence, notre héroïne commencera à considérer avec suspicion certains éléments de son quotidien, notamment ces « temps de purification de vie », ces moments où, à l’école, il faut dénoncer quelqu’un ou confesser un acte qui serait contraire au bon déroulement de la vie selon les préceptes du Dirigeant. Il est interdit de porter un jean, d’avoir les cheveux trop longs pour les hommes, de porter un collier ou un parfum étranger… Lors d’un des très rares voyages à travers le pays, la narratrice ne peut que constater les effets de la famine : stocks alimentaires épuisés, gens qui errent, soldats transformés en voleurs et policiers en contrebandiers. Un jour, Hyeonseo décide de traverser le fleuve gelé et de se rendre en Chine, poussée par une grande curiosité. Elle le fait contre l’avis de sa mère et au péril de sa vie. Elle pense revenir quelques jours plus tard, elle n’y reviendra jamais vraiment. Des Sino-Coréens l’aident à rejoindre son oncle et sa tante à plus de huit heures de route. Une fois là-bas, la narratrice doit se cloîtrer pour ne pas se faire repérer en tant que fugitive. Quelques mois plus tard, avec un précieux bagage de connaissances en mandarin, elle va fuir un mariage forcé, manque de tomber dans un réseau de prostitution puis se dirige vers le sud de la Chine, tentant de se faire passer pour une Chinoise, travaillant en tant que serveuse. Elle rejoindra Shanghaï avant de pouvoir s’envoler, après maintes péripéties et aventures, vers Séoul. Une fois à Séoul, l’adaptation à un pays qui est le sien sans l’être vraiment va s’avérer très compliqué. Et un problème reste à résoudre : faire venir mère et frère de Corée du Nord. S’engage donc un énième combat, peut-être encore plus compliqué, qui va mener les protagonistes au Vietnam et au Laos.
Plusieurs éléments marquent dans ce témoignage, certains détails à la fois absurdes et représentatifs de la tyrannie du gouvernement nord-coréen : une famille entière peut être arrêtée si les portraits des dirigeants (que chacun se doit d’avoir dans son salon) ne sont pas nettoyés correctement. Le Dirigeant revêt une telle aura qu’il est une sorte de Père Noël pour les enfants, un dieu vivant pour les adultes. A sa mort, des milliers de personnes en pleurent crient leur douleur. Il est interdit de porter un jean dans la rue, d’avoir les cheveux trop longs pour les hommes, de porter un collier ou un parfum étranger… Ce qui m’a frappée, c’est le mensonge permanent, assorti d’une bonne dose d’hypocrisie, dans lequel vit ce peuple et l’âpre découverte de la vérité, une fois arrivé dans un autre pays. L’acclimatation à la Corée du Sud a été une épreuve supplémentaire, l’accès à une grande liberté a créé une panique et une impression d’abandon chez les transfuges. Une crise d’identité et même une envie de retourner en Corée du Nord a travaillé quelque temps Hyeonseo, mettant à mal les relations avec ses nouveaux amis sud-coréens mais aussi avec sa famille. J’ai trouvé ce récit très émouvant, il est touchant de savoir que cette jeune femme a parcouru seule des milliers de kilomètres, a risqué mourir ou être arrêtée si souvent et a traversé tant d’obstacles et de péripéties pour obtenir une vie simple et libre. Elle est aujourd’hui étudiante et journaliste au ministère de la Réunification. Une véritable héroïne.
Les séances de « purification de vie » : « m’enseignèrent une leçon de survie : je devais faire preuve de la plus grande discrétion, me montrer très prudente en paroles et en actes, et me méfier des autres. J’acquis ainsi peu à peu ce masque que les adultes portaient comme un second visage à force d’entraînement. »
« Suis-je nord-coréenne ? C’est là que je suis née, là que j’ai grandi. Suis-je chinoise ? Je suis devenue adulte dans ce pays. Suis-je sud-coréenne ? J’ai lu même sang que les gens d’ici, je partage la même origine ethnique. Mais comment me sentir des leurs alors qu’ici, on traite les Nord-Coréens en inférieurs ? »