Nous sommes en 2038, Jake est une Guide qui va promener des touristes pleins aux as, les seuls qui peuvent encore se targuer de faire une excursion au cœur même de la nature. Eh oui, après le Grand Dépérissement, les arbres de notre planète sont morts, des nuages de poussière toxique tuent les humains condamnés à souffrir ou à s’exiler. Mais Jake, sans le sou et seule, va faire une découverte qui va chambouler sa vie et peut-être même la Terre entière. Retour en arrière : en 2008, on suit un bout de parcours du père de Jake, Liam, qui a des problèmes relationnels avec Willow, une mère célibataire distante parce que trop attachée à son rôle d’hippie écolo. En 1974, la même Willow attend son oncle, Everett, à sa sortie de prison. Elle ne le connaît pas, du moins, c’est ce qu’elle pense… car il lui a sauvé la vie lorsqu’elle n’était qu’un bébé abandonné. C’est en 1934 qu’on découvre d’où vient cette petite Willow. Et en 1908, on apprend enfin à connaître l’enfance des protagonistes du roman, Everett et Harris, des frères sans en être, des orphelins débrouillards qui vont s’éloigner pour mieux se retrouver. Et on remonte la pente chronologique en se projetant à nouveau en 1934 puis en 1974, etc. La boucle est bouclée, le lecteur a enfin toutes les cartes en main d’un jeu complexe et passionnant.
Je m’attendais à complètement autre chose, sans doute proche de L’arbre-monde de Richard Powers (dont je n’ai pas tout apprécié), écolo radical. Pas du tout, c’est un roman qui s’étale sur plusieurs décennies, une saga familiale qui, par ses ingénieux retours en arrière, devient de plus en plus captivante au fil des pages. Michael Christie est un excellent conteur (un peu à la manière de Timothée Fombelle, ai-je trouvé), ses personnages sont forts et complexes et la structure narrative est d’une prouesse telle qu’on a l’impression d’entrer dans un vaste tourbillon délicieusement vertigineux. Les arbres occupent une grande place dans cette boucle temporelle - l'auteur parvient réellement à les rendre vivants, et les réflexions sur l’héritage familial, le lien de filiation, les choix de vie sont menées avec une brillante sagesse et une grande délicatesse. Mais les intrigues secondaires ne sont pas en reste, ce Stradivarius fabriqué par amour, cet homme payé pour être « descripteur », décrire à un aveugle les beautés qui l’entourent, l'obusite d'Everett, cette tornade effrayante et magnifique qui projette de centaines de livres dans les airs.
Cette lecture a été un feu d’artifice d’émotions pour moi, un immense plaisir de lecture et donc un grand grand COUP DE CŒUR !
Le Grand Dépérissement : « A mesure que succombent et disparaissent les forêts primaires partout sur le globe, le sol se dessèche faute d'arbres pour protéger la terre des rayons du soleil implacables, ce qui entraîne la formation de nuages de poussière assassins, dont les particules extrêmement fines étouffent la terre. »
Très drôle : « ça sert à quoi, une bibliothèque, à part rappeler discrètement à ses invités qu'on est un esprit supérieur ? »
Quand Everett a recueilli et pris sous son aile la petite Willow, bébé : « [il] se rend compte que, depuis ce premier soir où il l'a entendue pleurer, elle l'a refaçonné, jusqu'à faire de lui quelqu'un de entièrement neuf. Pas un type bien, un homme digne de respect ou d'admiration. Mais quelqu’un qui donne plus de valeur à une autre vie qu’à la sienne. Et cette transformation a refermé en lui une plaie demeurée longtemps purulente. »