En 1832, à Canterbury, une petite ville du Connecticut, l’institutrice Prudence Crandall fait la classe à une vingtaine de filles. Un jour, la jeune Sarah, une fille noire, demande à être intégrée à l’école ; elle a soif d’apprendre, elle veut « comprendre ». Mademoiselle Crandall accepte volontiers mais la venue d’une fille « de couleur » fait scandale dans la petite communauté où les ragots vont bon train : « Eduquer quelques noirs, bon, à la limite… Mais pourquoi justement, ICI, dans notre ville ? Il y a sûrement des endroits plus adaptés ! Si des noirs débarquent ici à cause de cette école, il y aura des agressions ! Des cambriolages ! Pas de ça ici ! […] Et d’ailleurs, pourquoi des filles ? En quoi cela va-t-elle les aider dans leurs tâches quotidiennes ? » Pour les familles blanches puritaines, il n’est pas question de mélanger Blanches et Noires dans l’école qui fait aussi pensionnat. Mlle Crandall, soutenue par son père n’accueillera que les Noires… et en essuiera les conséquences et des violences en tous genres : des hommes pillent la charrette de M. Crandall qui rapportait les provisions à l’école, un anonyme lance un objet à travers la vitre de la salle de classe, des excréments tapissent la porte de l’école… Des mouvements de révolte tous plus abjects les uns que les autres sapent le moral des pensionnaires jusqu’à atteindre un point de non-retour.
Cette BD s’est appuyée sur une histoire vraie, celle de la Canterbury Female School de Prudence Crandall. A l’époque où l’esclavage a déjà été aboli dans cette partie des Etats-Unis, les Noirs étaient à peine tolérés et certainement pas considérés à pied d’égalité avec les Blancs. J’ai beaucoup aimé cet album indispensable, à faire lire à tout âge. Un personnage, le petit Sauvage, un vagabond qui scande les crimes commis par Nat Turner, ce prédicateur afro-américain qui massacre, en 1831, des dizaines de Blancs, apporte une touche de nuance aux propos mais aussi de poésie. Dans un univers sans manichéisme, le racisme prédomine, la stupidité et l’ignorance font rage. Cette petite lueur d’espoir, de changement, d’évolution d’une pensée malsaine et étriquée, ne va durer qu’un court moment mais c’est grâce à des personnes comme Prudence Crandall que les mentalités ont tout de même commencé à évoluer. Les dessins, ronds, colorés, poétiques, peuvent surprendre pour le thème abordé mais j’ai apprécié en particulier certaines planches qui évoquent la communion avec la nature, une pensionnaire nommée Eliza s’éloigne quelque peu des croyances quakers. Ma fille de 12 ans a lu et adoré elle aussi, elle m'a aussi parlé d'Eliza !