Suite à sa chute de huit mètres de haut d’un toit de chez Rufin, après des mois d’hospitalisation, Sylvain Tesson a pris une décision bien insolite pour se requinquer : traverser la France à pied. Parti le 24 août du Mercantour, à la frontière italienne, il va parcourir le trajet vers la pointe nord du Cotentin souvent seul, parfois accompagné d’un ami et touchera son but le 8 novembre. Ce qui l’importe, c’est de parcourir les « chemins noirs », ces routes peu fréquentées, loin de l’agitation humaine, des voitures et du bruit. Il évoque également par là une ruralité française en souffrance et en perdition, des villages déserts, des commerces qui ferment, des efforts un peu absurdes pour obtenir le wifi.
Evidemment que j’ai aimé ce court récit de voyage ! Sylvain Tesson force le respect. Alors que d’autres se feraient plaindre et servir, lui sillonne la France avec sa ataraxie et son impertinence coutumières. Mise à part une crise d’épilepsie (une nuit à l’hôpital), quelques douleurs à peine évoquées (et pourtant quotidiennes) et son interdiction de boire de l’alcool, on dirait un jeune homme en pleine forme. Les nombreuses citations le prouvent : j’adore le style ! Son écriture parfume chaque page, agrémentée de réflexions caustiques, souvent drôles, toujours justes. J’aimerais moi aussi m’échapper avec lui, fuir, prendre ce « carton d’invitation à ficher le camp. » Là, tout de suite, maintenant.
Son côté rustre : les proches, « je préférais penser à eux que les côtoyer. »
Sa mère est morte quelques mois plus tôt : « On m’avait ramassé. J’étais revenu à la vie. Mort, je n’aurais même pas eu la grâce de voir ma mère au Ciel. Cent milliards d’être humains sont nés sur cette Terre depuis que les Homo sapiens sont devenus ce que nous sommes. Croit-on vraiment qu’on retrouve un proche dans la cohue d’une termitière éternelle encombrée d’angelots ? »
Les chemins noirs : « Ils ouvraient sur l’échappée, ils étaient oubliés, le silence y régnait, on n’y croisait personne et parfois la broussaille se refermait aussitôt après le passage. Certains hommes espéraient entrer dans l’Histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la géographie. »
A la presque fin de son périple : « Le matin, j’éprouvais encore de vives douleurs dans le dos. Trois ou quatre kilomètres en venaient à bout : un rouage actionné longtemps s’huile de lui-même. La marche avait aussi ses effets d’alambic moral, dissolvant les scories. Tout corps après sa chute – pour peu qu’il s’en relève – devrait entreprendre une randonnée forcée. »
« On devrait toujours répondre à l’invitation des cartes, croire à leur promesse, traverser le pays et se tenir quelques minutes au bout du territoire pour clore les mauvais chapitres. »