Lors d’une sortie en bateau, non loin de la côté brestoise, Martial Kermeur fout Antoine Lazenec à l’eau. Et rentre chez lui. Et se fait arrêter. S’en suit un long monologue chez le juge où l’homme tente d’expliquer les raisons de ce meurtre parfaitement voulu et réfléchi. Le juge ne correspond pas au stéréotype du métier, il est jeune, humain, tente de sonder l’âme de Kermeur à la manière d’un psychologue. Et Kermeur raconte, tout, depuis le début. Il vivait gracieusement dans une dépendance parce qu’il s’occupait de l’intendance d’un « château », plutôt une vaste demeure dont personne ne voulait. Jusqu’à l’arrivée du flambeur Antoine Lazenec qui en a mis plein la vue à tout le village. Son projet est de tout racheter, tout démolir pour y construire un vaste complexe hôtelier, une station balnéaire. Tout le monde finit par croire à ce pari fou. Kermeur investit toute sa prime de licenciement et espère obtenir ce bel appartement avec vue pour lui et son fils Erwan. Vous le devinez, c’était de la poudre de perlimpinpin et il n’y a jamais eu ni complexe hôtelier, ni appartement.
Derrière ce titre rédhibitoire se cache un roman fascinant qui se lit avec délectation. C’était une première découverte de l’auteur et elle m’a convaincue ! L’écriture allie à la fois la grande simplicité du langage oral de Kermeur et une fine analyse psychologique du déroulement de l’affaire - ou comment un type en arrive à en tuer un autre sans scrupules. Le récit est si bien tourné qu’on se prend d’affection pour le narrateur et meurtrier. La fin est délicieuse. Un si grand plaisir de lecture que j’en fais un coup de cœur !
Martial Kermeur veut raconter son histoire « qu’elle soit comme une rivière sauvage qui sort quelquefois de son lit, parce que je n’ai pas comme vous l’attirail du savoir ni des lois, et parce qu’en la racontant à ma manière, je ne sais pas, ça me fait quelque chose de doux au cœur, comme si je flottais ou quelque chose comme ça, peut-être comme si rien n’était jamais arrivé ou même, ou surtout, comme si là, tant que je parle, tant que je n’ai pas fini de parler, alors oui, voilà, ici même devant vous il ne peut rien m’arriver, comme si pour la première fois je suspendais la cascade de catastrophes qui a l’air de m’être tombée dessus, sans relâche, comme des dominos que j’aurais installés moi-même patiemment pendant des années, et qui s’affaisseraient les uns sur les autres sans crier gare. »
« quelquefois, quand il me regardait, le juge, on aurait plutôt dit qu’il avait une machette dans les yeux et qu’avec il frayait son chemin à l’intérieur de moi, comme s’il visait un point central que je ne connaissais pas moi-même, quelque chose qu’il aurait peut-être simplement appelé « les faits » et parce qu’il pensait qu’à l’intérieur d’eux, « les faits », il y avait la vérité. »
« on ne peut pas toujours attendre des siècles je ne sais quelle justice naturelle qui ne tombera peut-être jamais. »