Dans les années 50, les Blanc sont une famille heureuse. Propriétaires d’un café où on danse le samedi soir, ils sont appréciés dans leur petit village du Val-D’Oise. Paulot, le père, joue de l’harmonica et sait mettre l’ambiance. Des trois enfants, Mathilde est celle qui vénère son père espérant tant lui soutirer des marques d’affection. Mais Paulot est atteint de tuberculose, la famille déménage en face et ne peut plus tenir ce bar. De rechutes en tracas financiers, les parents vont se retrouver dans un sanatorium et les enfants éparpillés, Mathilde et Jacques, le petit frère, dans deux familles d’accueil différentes, Annie vivant déjà sa vie de jeune femme enceinte. Le sanatorium est ce « paquebot dans les arbres », ce microcosme où les parents se retrouvent seuls, malades mais toujours amoureux. Et Mathilde peine à joindre les deux bouts, à tenter de récupérer la garde de Jacques, à continuer vaillamment à rendre des visites au sanatorium, à devenir femme, toute seule.
C’est un très beau livre, assurément. Avec, en son cœur, la famille. Une famille éclatée mais soudée essentiellement par ce couple de parents unis au point de souffrir de la même maladie, au point peut-être de faire passer leur amour avant celui éprouvé pour leurs enfants. Mathilde règne aussi, au-dessus de la maladie, au-dessus de la pauvreté, toujours digne et valeureuse, elle prend la figure d’une Mère-Courage adolescente. L’incipit qui nous montre une Mathilde vieillissante qui revient dans le sanatorium des décennies plus tard - l’endroit est alors à l’abandon - ne pouvait déjà que me plaire, adepte d’urbex que je suis. Je ne fais pas de cette lecture un coup de cœur comme Géraldine chez qui j’ai chipé l’idée de lecture ; la description de la maladie me renvoie à de très mauvais souvenirs, mais l’intrigue est bien menée, les personnages sont attachants (Mathilde est admirable !), le contexte historique des années 50 et 60 intéressant. Et l’écriture, soignée et sans pathos, est très belle. La romancière s’est inspirée d’une histoire vraie et le sanatorium d'Aincourt n'est pas le seul à être laissé à l'abandon.
Paulot ne veut pas danser avec Mathilde, son « p’tit gars » (elle est née après la mort d’un frère) : « Maintenant ils la regardent, la famine poussée seule, sans seins, sans fesses, sans jupe. Celle qui est arrivée quand Paul avait déjà une fille, qui pour lui plaire a pris la place du mort. Elle sourit toujours, par-dessus l’apocalypse. Ils sont gênés, détournent les yeux, se resservent à boire. Ce n’est pas leur faute si Paulot n’est pas foutu de l’aimer comme il faut. »
Ce beau moment où l’hésitation surgit doucement, vivre peut-être un peu pour soi-même… : « Mathilde est un funambule en tension, oscillant entre la nécessité d’être Mathilde Blanc, puissante, enchanteresse, fidèle ; et le désir aigu d’être une autre, fragile, légère, avec des rêves à soi. »
Deuxième lecture après Kinderzimmer.