Ce recueil de treize nouvelles emporte le lecteur dans un ailleurs spatial, dans un ailleurs temporel mais également dans un ailleurs littéraire. Un narrateur qui rencontre son double, un disque magique qui disparaît une fois le propriétaire tué, un Congrès mystérieux qui tente de rassembler les entités du monde entier, un homme qui s’isole et se fait oublier pendant deux mois dans un but bien précis, la première fois d’un adolescent dans une maison close, une plongée dans un avenir très lointain… Si les nouvelles n’ont rien à voir les unes avec les autres, la plupart sont fantastiques, le personnage qui parle à la première personne est généralement masculin et le thème du livre, de la bibliothèque revient souvent.
Heureusement que les nouvelles sont assez courtes car elles requièrent une concentration maximale et une attention aiguë. Malgré cela, deux ou trois me sont restées aussi fermées qu’une lourde porte blindée et cadenassée. Deux paraissent inachevées au point qu’on cherche la dernière page qui n’existe pas. Pourtant, je ne regrette pas d’avoir lu ce livre, certains textes, je l’espère en tous cas, resteront gravés dans mes souvenirs, notamment « Le Congrès », « Avelino Arredondo » et l’incroyable dernière nouvelle, « Le livre de sable », ce livre maléfique dont on tourne les pages indéfiniment sans qu’on puisse le refermer, qui comporte à chaque fois une autre illustration, un autre texte, une autre numérotation de page. Un livre infini qui rend fou. Les liens avec mon autre lecture argentine du mois, L’enfant poisson de Puenzo, sont évidents puisque dans les deux cas, on a à faire à ce réalisme magique si cher à la littérature sud-américaine ; et je suis contente d’avoir découvert - pour la première fois - l’univers tourmenté et surnaturel du grand écrivain argentin.
Dans la nouvelle « L’autre », le narrateur rencontre son alter ego, l’un est jeune, l’autre est vieux : « je compris que nous ne pouvions pas nous comprendre. Nous étions trop différents et trop semblables. Nous ne pouvions nous leurrer, ce qui rend difficile le dialogue. Chacun des deux était la copie caricaturale de l’autre. La situation était trop anormale pour durer beaucoup plus longtemps. Conseiller ou discuter était inutile, car son inévitable destin était d’être celui que je suis. »
« Utopie d’un homme qui est fatigué » nous emmène dans un futur où on ne crée plus de nouveaux livres : « D’ailleurs ce qui importe ce n’est pas de lire mais de relire. L’imprimerie, maintenant abolie, a été l’un des pires fléaux de l’humanité, car elle a tendu à multiplier jusqu’au vertige des textes inutiles. »
Une seconde participation au challenge ensoleillé de Goran et Ingannmic !