Nous sommes à Berlin, en avril puis mai 1945. La ville est détruite, les Allemands encore vivants rescapés dans un bunker où on crève de faim. Ingrid fait partie du groupe où on ne parle plus que d’Hitler et de l’arrivée imminente des Russes. Et effectivement, les Russes débarquent avec leur gouaille et leur excès d’assurance. Parmi eux, Evgeniya, une jeune femme de 19 ans qui travaille au N.K.V.D., un organisme qui gérait les goulags. Les deux femmes, qui parlent à la fois allemand et russe, vont se rencontrer, confronter leurs croyances et leurs désillusions. Chacune tient un journal intime qui sera lue par l’autre. Dans celui d’Ingrid, les croix se multiplient, … autant de croix que de viols. Pendant ce temps-là, on cherche le cadavre d’Hitler, les Russes ont découvert des dents qui pourraient être les siennes ; et on s’empare du Reichstag.
Pour une BD choisie par hasard, la claque fut magistrale ! Le dessin, d’emblée, heurte. Les visages se rapprochent des squelettes, les traits simplifiés renvoient soit à l’horreur et l’inhumanité, soit à la candeur du visage d’Evgeniya. Les premiers mots donnent le ton « Berlin est un champ de gris », le gris est sale et sans espoir, pourtant la couleur apparaîtra en dernière planche. La dimension féministe m’a frappée également, pour une BD créée par un homme… la guerre est masculine et, dans les abris, les hommes déblatèrent inutilement pendant que les femmes se taisent et travaillent. Il est question de résilience et de renaissance, loin des hommes. Un bel ouvrage qui propose une vision apocalyptique de la fin de la guerre. Il est nécessaire parfois de se faire bousculer, cette BD y contribue largement avec une force assez incroyable. Bravo !