Ils sont quatre. Frères et sœur complices face à une mère bigote et un père indifférent. Mabel est l’épicurienne qui prend du plaisir là où elle le trouve, insolemment ; Luc, malgré son esprit de simplet sait faire preuve d’une grande sensibilité ; Marc est l’amoureux des livres et Matthieu le passionné de nature. Dans un endroit où la nature sauvage cohabite difficilement avec la centrale électrique qui nourrit presque tous les hommes de la région mais les dévore aussi, Joyce règne. C’est un être tyrannique qui a fait baptiser toutes les rues de la ville à son nom, qui a, à son service, des molosses dociles qui sèment la terreur. Mabel quitte la maison familiale et se retrouve serveuse à L’Amiral que fréquente son père Martin. Martin commence tout doucement à se réveiller de sa léthargie grâce à Gobbo, un ancien marin épris de justice. Matthieu, lui, n’hésite pas à utiliser la manière forte pour faire taire les braconniers et Marc découvre l’amour pour la première fois.
J’ai beaucoup aimé ce roman et quitté avec regret ces personnages si attachants. On pourrait peut-être reprocher à l’auteur de verser dans le cliché mais l’ensemble est si délicieusement enrobé dans ce cadre naturel qu’on se croit parfois dans un conte pour adultes bigrement réussi. Un nain et un géant comptent parmi les sbires de Joyce, on pourrait reconnaître une princesse en danger et une autre, plus hardie et plus courageuse, qui saura se débrouiller sans vaillant chevalier. L’image des quatre jeunes suspendus à une corde au-dessus de la rivière et accrochés au viaduc va sans aucun doute me rester. Promène sur tous ces personnages, le regard du sage, Elie le grand-père, un ancien ouvrier de la centrale qui y a perdu une jambe. Plus j’en parle, plus je suis convaincue d’aimer profondément ce livre dont l’écriture est si belle.
Deuxième découverte de l’écrivain pour moi après Plateau que j’ai moins apprécié.
« Dans la forêt, la source de la vie était précisément la mort de tout. Elle se nommait humus, un lit dans lequel naissaient d’innombrables racines, s’enfonçant, chevauchant, butant, contournant, perforant ; un lit dans lequel vadrouillaient les formes primales, disparaissant en profondeur, au fur et à mesure que l’oxygène venait à manquer ; un lit dans lequel la méticuleuse et opiniâtre décomposition de la mort conduisait à la vie ; un lit dans lequel se réveiller et s’endormir. »
Marc est amoureux de Julie et se projette : « Ils renverraient le commun dans les limbes pour faire surgir l’unique. La promesse des peaux. Ce serait ainsi. Le reste serait affaire de soleils éparpillés dans la nuit. Le reste serait leur affaire. Le lendemain serait ainsi. »