Après avoir tellement aimé Une journée d’automne, il me tardait de lire un autre roman de ce grand auteur américain (Prix Pulitzer 1971) souvent appelé le « doyen des écrivains de l’Ouest ». Celui-ci compte 414 pages.
Deux couples : Sally et le narrateur Larry Morgan, d’une part, pauvres, amoureux, bûcheurs ; d’autre part : Sid et l’extravagante Charity qui adore mener à la baguette son petit monde. Une amitié lie les quatre personnages depuis leurs années d’études à Madison, dans le Wisconsin, alors que Larry démarre une carrière d’écrivain. Les quatre baignent dans un univers fait de littérature et de culture
J’ai retrouvé les caractéristiques de l’écriture de Stegner que j’avais tant aimées dans Une journée d’automne : une belle fluidité, une grande élégance, une certaine classe liée sans doute à une époque révolue et je rajouterai, pour ce livre-là, un humour discret et une lucidité mordante. L’auteur signe là son dernier roman et on sent la sagesse de l’écrivain mûr qui a appris des relations aux autres et qui évoque la mort avec plus ou moins de sérénité. La fin m’a complètement bouleversée. Ce qui est bluffant, c’est cette histoire d’amitié qui a duré entre les deux couples, belle, forte, généreuse. Au début du roman, je me suis plu à imaginer qu’il s’agissait d’un thriller : Sally est infirme et pendant des dizaines de pages, on s’attend à connaître les raisons de son état. Pourtant, ce n’est pas l’essentiel, ces quatre personnages ont été bien trop occupés à vivre et à aimer qu’à s’attarder sur un corps plus défaillant qu’un autre. Pour couronner le tout, la nature occupe une belle place et la réflexion sur l’écriture (voir 2ème citation) en charmera plus d’un. Surlignez bien ce nom d’écrivain !
« Orphelins venus de l’Ouest, nous avions échoué à Madison et les Lang nous adoptèrent au sein de leur nombreuse, riche, influente et rassurante tribu. Nous nous aventurâmes, telle une paire d’astéroïdes, dans leur univers newtonien bien réglé, et ils nous capturèrent par un effet de leur gravitation, firent de nous des lunes et nous placèrent en orbite autour d’eux. »
L’écrivain au travail : « Face à mon mur aveugle, tournant le dos aux tentations et autres dissipations, je passais mes matinées au Nouveau-Mexique, univers d’invention et de souvenirs mêlés où je me déplaçais avec la liberté d’un dieu. Je commandais au climat. Je connaissais chaque mesa, chaque pueblo, chaque route, rue et maison, car c’était moi qui les avais placés là. Je connaissais les pensées, les émotions et l’histoire de tout le monde. Je pouvais prévoir et même projeter le moindre événement, prédire et même dicter la moindre espérance. »