Cela faisait un moment que je m’étais offert cette grosse BD (quand je me lance dans des achats BD, Emmanuel Lepage est souvent de la partie), le moment était venu de la lire : le thème de Tchernobyl m’a intéressée dans le roman d’Alexandra Koszelyk, il m’a carrément écoeurée dans la série Chernobyl que je n’ai pu voir jusqu’au bout.
Emmanuel Lepage en tant que dessinateur se rend avec un petit groupe de Français à Tchernobyl. L’appréhension se mêle à l’excitation. Emmanuel s’est documenté et, entre les chiffres (100000 morts dus à la catastrophe, 25% du territoire biélorusse contaminé), les enfants difformes, le cimetière technologique (camion, hélicoptères, matériel abandonnés), tout le désastre qu’on connaît, le dessinateur s’attend à avoir la nausée et à rapporter au grand public l’étendue de la catastrophe. Mais le petit groupe arrive dans un cocon d’humanité où, si les risques de cancer sont bien réels, la vie se fait une place, la musique, les rires, la joie aussi – peut-être plus qu’ailleurs.
Ce qui est absolument extraordinaire dans ce magnifique album, c’est qu’Emmanuel Lepage – et il n’en revient pas lui-même !- trouve du beau, de l’amour, du positif dans cet endroit dont il était venu dénoncer les atrocités. Malgré lui, une candeur et une douceur qui lui rappellent son enfance le submergent à plusieurs reprises. La nature a envahi les habitations désertées mais les hommes savent vivre et profiter de la vie ici aussi, malgré les dangers quotidiens. Faut-il parler du dessin quand on connaît cet artiste si talentueux ? Les planches consacrées à ces forêts bleues, où la couleur est revenue après le gris de Pripiat, suffisent à ouvrir l’album. C’est du vert et du bleu à foison, à savourer avec la même délicatesse que le dessinateur met dans son œuvre. C’est à la fois grand et empli d’humilité.
« Dans ce métier, seul à gratter sur ma planche, j’ai souvent l’impression de voir le monde à travers une vitre. D’être « à côté ». Cette fois-ci, le monde, je le sentirai dans ma peau. Bien sûr, c’était risqué… mais tellement excitant ! J’allais découvrir les terres interdites où rôde la mort. »
« Pripiat, ville désolée, colle à ce que j’imaginais de la catastrophe, correspond à l’image que je me faisais du désastre. Mais ici, dans la zone ? Cette vibration subtile des couleurs couvre l’effroyable réalité qui se cache à mes yeux. »
« je croyais me frotter au danger, à la mort… et la vie s’impose à moi. »