L’auteur, au détour d’une soirée créole, décide de participer au Marathon de Pyongyang. On peut parler d’un coup de tête puisque le monsieur n’est pas un grand adepte de la course à pied et qu’il n’a pas vraiment couru depuis des années… Il se prépare donc, prend un congé de six mois, respecte le programme de course élaboré par un site internet. Au moment du départ, l’angoisse monte : celle de ne pas réussir à parcourir les 42 kms mais surtout celle de ne jamais revenir de cette Corée du Nord si particulière. Après un voyage d’une longueur admirable (relier Pékin à Pyongyang met une trentaine d’heures de train…), une nuit courte, un inévitable décalage horaire, c’est le Marathon dans les rues de la capitale, pour un aller-retour plutôt solitaire puisqu’il n’y a que 2000 participants. Je vous passe les détails de la course, vous vous en doutez bien que notre ami réussit haut la main son défi. Reste une petite dizaine de jours à passer dans la dictature ; aucune place pour l’improvisation, les étrangers sont baladés et bien cadrés entre les différents monuments officiels, toujours à la gloire des dictateurs. Il faut se prosterner, admirer, ne pas faire n’importe quelle photo, n’énoncer aucun commentaire désobligeant, ne pas faire d’humour, ne pas parler aux gens que d’ailleurs on ne rencontre pas vraiment. Un séjour hyper organisé, surveillé de près par des « guides » qui font plutôt figure de flics. Un couvre-feu à 22h, un tramway qui ne fonctionne que pour les étrangers, une absence totale de fantaisie ou d’improvisation et une bonne indigestion auront eu raison de notre écrivain.
Le récit a été pour moi doublement passionnant : je cours régulièrement mais n’ai jamais dépassé les 15 bornes et je suis toujours admirative des marathoniens ! Et puis ce pays renfermé sur lui-même, communiste et cinglé, où toute religion est proscrite, a un potentiel de fascination et d’effroi assez élevé. Je me suis régalée à accompagner le narrateur dans ce voyage ubuesque d’avant course, à courir avec lui dans les rues de la capitale nord-coréenne, à participer à ses dégoûts, ses craintes, ses étonnements. Bon, j’aime de toute façon le franc-parler de Jacky Schwartzmann alors je manque peut-être d’objectivité mais le témoignage ne peut être qu’intéressant !
« La course à pied est un sport chiant, il faut le dire. Peut-être le moins ludique et certainement le plus crevant, il a tout contre lui. Du coup, c’est un sport de cérébral. Quand vous courez, votre esprit vagabonde, vous laissez la fission nucléaire de la caboche s’accomplir et évitez ainsi de mourir d’ennui. Petit plus : penser à toute autre chose vous sort de votre corps et de la difficulté, si bien que vous pouvez parcourir plusieurs kilomètres avant de vous souvenir de la souffrance physique. »
Le restaurant de l’hôtel : « Au rez-de-chaussée, la salle de restaurant ressemble à une salle de mariage qu’aurait décorée le Michel Serrault de La Cage aux folles. La hauteur sous plafond, je ne saurais dire. Les murs ? Rose. Rose pute, pour être précis. D’immenses tables rondes, sur lesquelles ont tient à dix ou quinze, et munies d’un plateau central tournant. »
« On me trimballe au milieu des Coréens comme s’ils étaient des fauves, je passe devant eux, je passe parmi eux, mais je ne les rencontre pas. Ce pays accepte de nous recevoir, mais il ne nous accueille pas. Ils veulent qu’on les voie, mais pas qu’on les regarde. »
« La dynastie des Kim a transformé ce pays en un furoncle dont on ne saurait que faire en cas s’effondrement du régime. »
Une visite d’une cascade est annoncée – en plus d’être décevante, les visiteurs remarquent des inscriptions communistes sur des pierres : « Le fanatisme, c’est quand on veut coller la grille de ses valeurs sur le réel, quitte à le tordre, à le casser. Si le réel ne correspond pas à ce que je pense, plutôt que de m’adapter, je modifie le réel. Je grave mes conneries dans la pierre, par exemple… »