Léna et Ivan sont deux enfants qu’une forte amitié réunit tous les jours. Ils grandissent dans cette ville toute proche de Tchernobyl et leur amitié se transforme peu à peu en amour. La tragédie du 26 avril 1986 va les séparer : le père de Léna comprend vite l’ampleur de la catastrophe et, dès le lendemain, la petite famille, avec Zenka la grand-mère, fuit vers Paris où l’attendent des cousins. Léna pense revenir dans son pays quelques semaines plus tard mais ses parents lui expliquent que c’est impossible, qu’Ivan est sans doute déjà mort et qu’à treize ans, elle doit se reconstruire une nouvelle vie. Elle va la réussir cette nouvelle vie, s’intégrant assez aisément, se glissant dans la langue française avec facilité, réussissant brillamment ses études. Mais la ville de Pripiat reste toujours dans un coin de la tête de la jeune fille et le souvenir d’Ivan reste gravé durablement, lui laissant un sentiment d’inachevé…
Avec quelle impatience et quel plaisir j’ai lu ce roman d’une blogueuse que je suis depuis des années ! Je lui tire mon chapeau, elle réalise tout haut ce rêve que nous sommes nombreux à faire tout bas, je crois. Son écriture est réellement très belle et élégante, parfois sophistiquée, parfois lyrique ; j’ai noté la somptuosité de certains passages. Entre le thème de Tchernobyl que j’ai beaucoup apprécié, celui de la résilience, celui de l’exil et de l’attachement à une terre et cette histoire d’amour à travers les années qui défilent, le livre est riche et foisonnant. C’est cette image d’une ville à l’abandon, envahie par la végétation et des animaux sauvages que j’ai le plus appréciée. La vie malgré tout, la vie au-delà de la bêtise humaine, voilà qui a forcément une résonnance très actuelle. Pourtant, je suis restée un peu en dehors de l’histoire d’amour entre les deux ados qui m’avait l’air de se prolonger indéfiniment, de traîner un peu laborieusement même si le retour au pays pour Lena (je ne pense pas trop spoiler) reste tout à fait justifié. Les phrases sont si belles qu’elles m’ont paru parfois trop travaillées et donc artificielles, emportant avec elles une émotion qu’on aurait préféré voir grandir dans un peu plus de simplicité. Malgré ce petit bémol, les références mythologiques et littéraires, les magnifiques images m’ont enthousiasmée et je souhaite une belle carrière d’écrivain à Alexandra !
« Dans la forêt, la nature souffre. Elle économise ses souffles : elle amasse ses dernières forces pour se battre contre la bêtise de l’homme. Les particules malignes, torrent de boue invisible à l’œil nu, se déversent. Les radiations sont là, elles ont la force d’une armée de l’ombre insidieuse : aucun radar militaire ne peut les détecter. »
Pendant le voyage vers la France : « Zenka pleura silencieusement sa terre meurtrie qu’elle délaissait à l’heure où les corps ne voyagent plus. A jamais une étrangère de son pays qu’elle quitte. Sa vie bien entamée devait trouver une embarcation sur laquelle se fixer. Il ne lui restait alors que cette femme en devenir, sa fragile Léna, calée tout contre elle : une ingénue aux bras encore blancs d’innocence. Elle, elle n’était plus qu’une Vénus de Milo aux bras arrachés. Sa petite-fille deviendrait sa proue, sa poupe et son ancre. Zenka se faisait l’effet d’une muse déchue au corps cubiste : tête à l’envers, regard en arrière mais pieds en avant. »