Edmond Rostand se décrit lui-même comme un « poète raté » qui ne connaît que des fours avec des pièces trop longues et soporifiques. Il est marié, a deux enfants, le temps presse pour se faire enfin connaître à côté d’un Feydeau ou d’un Courteline. Il entend un cafetier noir se défendre avec ardeur et toupet face à un client qui le traite de « nègre ». Son ami et acteur Léo s’éprend d’une jolie Jeanne qui le rejette parce qu’il va trop vite en besogne. Edmond Rostand va l’aider à lui faire une belle déclaration sous un balcon, à lui écrire une jolie lettre d’amour. Il va s’inspirer de ce patron de café pour créer le personnage de Cyrano. D’obstacles en démissions, d’acteurs médiocres aux comédiennes capricieuses, les problèmes vont s’accumuler alors que la pièce s’écrit encore, à la va-vite, n’importe où et n’importe quand mais avec quel talent !
Quelle réussite que cette BD ! Non seulement elle retranscrit parfaitement le panache, la verve, la splendeur de cette pièce que j’aime tant, mais en plus, elle décrit la genèse de la création, ce petit Rostand un peu gauche qui s’imprègne de ce qui l’entoure pour écrire à une vitesse phénoménale son chef d’œuvre. Aussi virevoltante que la pièce, la BD nous happe, passionne, enivre, nous emporte dans ce tourbillon de la fin du XIXème siècle où l’on croise une Sarah Bernhardt généreuse et un Tchekhov aussi flegmatique qu’efficace. Que dire des dessins ? Assez hypnotiques, délicats et colorés, ils retracent parfaitement cette époque faste où on entre dans les plus belles salles de spectacle, où on se promène sur les magnifiques boulevards parisiens, où on assiste à l’invention du cinéma. Brillant et magistral. A lire absolument !
Comment peut-il en être autrement ? C’est un immense COUP DE CŒUR !!!
« Nègre c’est tout ? c’est un peu court, jeune homme ! Vous auriez pu dire… Voyons… tel un géographe : « Africain, Antillais, Créole ». Tel un peintre : « Marron, mélanoderme, moricaud » ? Ou tout simplement : « noir », si vous aviez eu la sobriété, l’élégance ou simplement le vocabulaire qu’un homme, entrant dans mon café se doit d’avoir. Ne l’ayant pas, je me vois, par conséquent, dans l’obligation de vous indiquer la porte. »
Et le film… ah le film d'Alexis Michalik est également une franche réussite!!! Courez le voir avant que toutes ces mauvaises salles de cinéma l'oublient. Les acteurs sont dans l'ensemble excellents, jusque dans les rôles secondaires (Dominique Pinon en régisseur et Jean-Michel Martial en tenancier de café génialissime), j'ose émettre un mini-petit bémol pour le Cyrano qui manquait un peu de panache (mon Cyrano préféré reste Stéphane Dauch de la compagnie Le Grenier de Babouchka). Et ce Paris de 1897, quel plaisir pour les yeux! Bon, Edmond ne fait que renforcer mon amour incommensurable pour Cyrano!