Un scandale énooorme heurte les Américains : une femme, Faye Andresen, a osé jeter une poignée de cailloux vers le visage d’un candidat à la présidentielle (qui est – par ailleurs – réac, misogyne et raciste) qui a été légèrement blessé à l’œil. Samuel, un professeur d’université qui passe tout son temps sur Elfscape, un jeu vidéo, tente, de son côté, de se débarrasser d’une étudiante tricheuse et menteuse. Il apprend, par hasard, que Faye, désormais considérée comme une dangereuse terroriste, n’est autre que sa propre mère, celle qui l’avait abandonné lorsqu’il avait onze ans. Samuel, insensible et indifférent vis-à-vis de cette femme, profite de l’occasion pour écrire un livre, lui qui a connu une très brève carrière de romancier très vite tombée dans l’oubli. Son opportunisme va se retourner contre lui mais le lecteur en profitera aussi pour découvrir le passé raté de Samuel et la jeunesse mouvementée de sa mère. Ces fameux fantômes avec lesquels il est nécessaire de cohabiter. Il faudra attendre la fin du roman pour comprendre pourquoi celle-ci a la fâcheuse tendance à fuir.
Pas évident de résumer un roman de plus de 700 pages aussi dense et riche que celui-ci ! Si l’intrigue est passionnante et les personnages –par leur non-conformisme- nous rappellent aisément ceux d’un John Irving, l’humour est omniprésent : satire du monde étudiant, de l’éducation, des hôpitaux, de la société de consommation, des médias, de la dépendance aux jeux vidéo, de la société américaine dans sa globalité. Le prologue m’a plu tout de suite : cette mère de famille qui, discrètement et inexorablement, vide les placards, dépouille penderies et bibliothèques, ôtant un livre par-ci, une fourchette par-là, subtilise une partie des biens pour, un beau matin, disparaître complètement. Le personnage de Samuel, anti-héros par excellence, avec ses mauvais choix aux mauvais moments et sa tendance à pleurer très facilement, devient attachant et agaçant à la fois. Les émeutes de Chicago de 1968 occupent une importante partie du roman et permettent de dévier les trajectoires de vie des uns et des autres. Malgré certaines longueurs en fin de livre, j’ai beaucoup apprécié cette lecture, ses allers-retours d’une époque à l’autre, l’alternance des personnages, et, comme la plupart, je suis restée bouche bée en apprenant qu’il s’agissant d’un premier livre. Nathan Hill, un auteur à suivre, donc.
Lorsque Laura, étudiante malhonnête, pleure devant Samuel pour attirer sa pitié : « Dans l’immédiat, le problème de Samuel, c’est que quand il voit quelqu’un pleurer, il ne peut s’empêcher d’avoir envie de pleurer lui aussi. Ça a toujours été ainsi, aussi loin qu’il se souvienne. Il a l’impression d’être un bébé dans une pouponnière, pleurant par solidarité avec les autres bébés. Pleurer lui semble une chose si impudique et si fragilisante qu’il se sent honteux et embarrassé quand quelqu’un le fait devant lui, cela vient réveiller en lui toutes les strates d’humiliation enfantines accumulée jusqu’à l’âge adulte et lui donne le sentiment d’être un gamin pleurnichard dans la peau d’un homme. […]Le sanglot qu’il réfrène est à présent localisé dans sa gorge, enroulé autour de sa pomme d’Adam, et il sent toutes les crises de larmes de son enfance fondre sur lui, toutes les fêtes d’anniversaire fichues en l’air, tous les dîners en famille interrompus en plein milieu, les classes entières figées devant lui qui s’enfuit en courant […] » Je vous laisse découvrir la suite parce que, finalement, pour éviter de fondre en larmes, Samuel utilise la technique de l’éclat de rire… ce qui s’avère désastreux pour l’étudiante éplorée ! (mais c’est très drôle pour le lecteur)
Une éducation… à l’ancienne : « Ce que j’essaie de vous dire, jeunes filles, c’est de vous fixer de grands objectifs. Vous installer avec un plombier ou un fermier n’est pas une fatalité. Vous n’arriverez peut-être pas à épouser quelqu’un dans le domaine médical, comme moi, mais ne vous interdisez pas d’envisager quelqu’un dans la comptabilité. Ou bien dans les affaires, la banque ou la finance. Trouvez avec quel genre d’homme vous voulez vous marier, et organisez-vous pour que cela se produise. »
« à force de choisir la facilité, chaque jour qui passe, la facilité devient une habitude, et cette habitude devient votre vie. »
« parfois une crise n’est pas vraiment une crise – c’est juste un nouveau départ. Si elle a appris une chose de toute cette histoire, c’est que lorsqu’un nouveau départ est vraiment nouveau, il ressemble à une crise. Tous les vrais changements commencent par faire peur. »