Acheté très tôt, cet album a finalement fait une longue sieste sur la minuscule étagère consacrée à ma PAL BD.
Dans la préface déjà, une phrase a fait mouche : Leïla Slimani et sa collaboratrice de dessinatrice, Laetitia Coryn, ont voulu sortir les femmes « de l’ombre où on les confine trop souvent. »
A Rabat, après une séance dédicace de son premier roman, Leïla Slimani rencontre Nour, une femme habillée à l’occidentale qui lui raconte sa vie qui ressemble à celle de tant d’autres Marocaines : ne connaissant rien de la sexualité jusqu’à un âge avancé, elle se fait traiter de pute par son père parce qu’elle s’épile les sourcils. Violée par deux hommes, elle devient la honte de son quartier. Elle refuse de se marier et fuit ses parents trop traditionnalistes. Son récit en engendrera d’autres, encore des femmes bafouées, humiliées, rejetées ou contraintes de se cacher.
Un mot résume parfaitement la situation des femmes au Maroc : hypocrisies. Se promener en jupe peut être passible d’arrestation, une femme seule gagnant correctement sa vie a un mal fou à trouver un appart, ben oui, sans doute va-t-elle faire entrer des hommes chez elle ou ouvrir une maison close… Il faut être vierge le jour du mariage, un homme même moderniste et ouvert ne veut pas épouser une non vierge. De nombreuses femmes violées sont obligées d’avorter dans des conditions sordides ou d’abandonner leur bébé. L’article 449 punit « de 1 à 5 ans de prison toute personne ayant provoqué ou tenté de provoquer un avortement. » « Une récente fatwa a interdit aux femmes de toucher aux bananes et aux concombres parce qu’ils ressemblent au sexe masculin. » Et les filles continuent de tomber enceintes contre leur gré… Heureusement, rajoute la nounou de Leïla, « certains hommes préfèrent voir d’autres filles du quartier et laissent leur femme tranquille. » mais la prostitution n’existe évidemment pas au Maroc… Finalement, la femme reléguée au deuxième plan, revêt une importance extrême puisque tout tourne autour d’elle. Si on lui foutait simplement un peu la paix et qu’on la laisse vivre ?
J’ai beaucoup apprécié cet album qui fait froid dans le dos malgré la beauté des paysages, des maisons maghrébines, des couleurs lumineuses. Un passage me semble encore plus important que les autres, c’est une citation de la journaliste Mona Eltahawi : « L’émancipation est d’abord conscientisation. Si les femmes n’ont pas pris la pleine mesure de l’état d’infériorité dans lequel elles sont maintenues, malheureusement, elles ne feront que perpétuer encore et encore. » Si ce constat résonne tant en moi, c’est que je retrouve cette résignation ou cet aveuglement dans les milieux ruraux où je vis… dans une moindre mesure, heureusement. Un livre à lire et à mettre entre toutes les mains !