J’adore La Visite de la vieille dame, pièce du même auteur, et j’ignorais totalement qu’il avait écrit autre chose que du théâtre. C’est par hasard que je suis tombée sur ce très court roman.
La voiture d’Alfredo Traps, un bel homme de quarante-cinq ans, agent général dans l’industrie textile, tombe en panne un soir d’été alors que l’homme s’apprêtait à rentrer chez lui retrouver femme et enfants. L’auberge du village voisin affiche complet mais on indique à Traps une villa qui accueille parfois des étrangers. Un charmant vieillard propose effectivement le couvert et le gîte à Traps en le prévenant que le dîner sera copieux car partagé avec des amis. Ils seront trois retraités, un juge, un avocat et un procureur à avouer leur petit penchant : recréer un procès, et l’accusé sera Traps. L’agent général qui pensait s’ennuyer, s’amuse beaucoup mais dit qu’il n’a aucun aveu à faire. De fil en aiguille, il admet qu’il n’est pas très fidèle à sa femme, que son patron lui mettait des bâtons dans les roues mais qu’il est désormais décédé… Procureur et juge parviennent à accuser Traps du meurtre de son ancien patron, son « avocat » le défend comme il peut et tout ça se passe dans une franche camaraderie joyeuse et volubile.
Quel récit délicieux ! Ce huis clos où les plats les plus riches et les plus succulents défilent toute la soirée fait grimper le degré d’alcool mais aussi la tension narrative. Cette vaste blague est à peine entachée par de petites inquiétudes de Traps, on sent poindre une once de culpabilité avant que lui-même revendique le meurtre de son patron avec force et conviction. Comment prêcher le faux pour savoir le vrai… Et la chute finale n’est pas celle qu’on attendait. Les notions de culpabilité, d’innocence, de justice sont étalées sur la table richement dressée. Quelle belle découverte que ce petit roman ! Il a été adapté au théâtre et la pièce doit être charmante à regarder.
Traps rencontre les trois vieux : « Ils avaient l’air de corbeaux sinistres dans ce salon d’été avec ses fauteuils de rotin et ses rideaux légers : d’énormes vieux corbeaux très poussiéreux et déplumés, même si leurs redingotes sortaient incontestablement de chez le bon faiseur, comme Traps, qui s’y connaissait en tissus, avait eu la surprise et le loisir de constater, maintenant que se faisaient les présentations. »