En 1930, Ali est un adolescent pauvre de Kabylie. Au printemps, une chance inattendue va changer sa vie : avec ses frères, il se baigne dans l’oued et le courant leur apporte un pressoir ! Ce pressoir va permettre à Ali de devenir un riche cultivateur, il épousera Yema avec il aura dix enfants. Mais la guerre d’Algérie va gommer cette aisance et ce confort acquis comme dans un conte de fées. Le FLN lutte contre les Français et contraint la population à rejoindre les rebelles qui sortent les armes et font régner la terreur. Hamid, l’aîné d’Ali, est un petit garçon téméraire et impétueux. Ali craint le pire pour sa famille et, entre les deux camps d’assassins, il choisit le côté français et s’exile en Occitanie en 1962. D’un camp de transit à un autre, la famille s’installe finalement dans une de ces HLM au charme fou construites tout spécialement pour les émigrés, en Normandie.
Hamid grandit, il est bon élève mais il rejette ce passé qu’il comprend mal, a honte de ses parents illettrés et part vivre à Paris. Il va avoir quatre filles avec une Française, Clarisse, et renouera épisodiquement avec ses parents mais jamais avec la culture algérienne. Naïma, une des filles d’Hamid, va être amenée, un peu par hasard, à travers une exposition dédiée à un artiste algérien, à retourner dans ce pays maghrébin, au même moment où des attentats, en France, ouvrent la porte aux amalgames. Entre retrouvailles et découvertes, Naïma
Cette saga familiale passionnante évoque l'indépendance de l’Algérie, l’exil et la question identitaire avec beaucoup de pudeur et de sensibilité. On sent une Alice Zeniter (elle-même petite-fille de harki) très impliquée dans ce sujet qui se prête si facilement à la polémique et aux clichés. Le livre est excellent pour diverses raisons : le voyage qu’il propose en Kabylie m’a rappelée de lointaines lectures de Kateb Yacine, de Jean Amrouche ou d’Assia Djebar qui fleurent bon l’olive et les fèves. L’exil et les premières années en France sont synonymes d’humilité et de peur. Il faut se taire, se faire la plus petite place possible. Pour Naïma, la peur a pris un autre visage, elle est une femme moderne mais aussi complètement perdue, oscillant entre amour et rejet de ses racines méconnues.
Un coup de cœur pour ce roman à lire absolument… pour mourir moins con. Et en écoutant Matoub Lounès.
L’amour, « un combat permanent et souvent perdu mais toujours recommencé. »
« Il sait que Yema va crier, lui reprocher de s'être aventuré si loin et d'y avoir laissé sa godasse. Chaque jour, elle réitère son interdiction de sortie, chaque jour il négocie, par des colères, des sourires et des cajoleries, toutes les armes que l'enfance tient à sa disposition, de pouvoir aller un tout petit peu dehors. Il ne peut pas comprendre la peur de sa mère, parce qu'il ne peut pas s'imaginer mourir - c'est une occupation d'adulte. Aujourd'hui, il a quitté la maison en cachette mais il ne redoute pas vraiment l'engueulade qui l'attend. Yema fera semblant d'être en colère alors qu'elle tremble de joie de le voir revenu intact. Il fera semblant d'être triste, tout plein encore du plaisir de sa fuite. C'est un jeu auquel il joue souvent tous les deux. »
« L’école a remplacé les oliviers porteurs de toutes les promesses. L’école est la continuation statique de leur voyage, elle les élèvera au- dessus de la misère. »
« Ils parlent de moins en moins à leurs parents, de toute manière. La langue crée un éloignement progressif. L’arabe est resté pour eux un langage d’enfant qui ne couvre que les réalités de l’enfance. Ce qu’ils vivent aujourd’hui, c’est le français qui lui donne forme, il n’y a pas de traduction possible. »