Maben, une jeune femme maigre de n’avoir pas assez mangé, marche le long d’une route de Louisiane. Sa petite fille de cinq ans l’accompagne, elles sillonnent les routes sous un soleil de plomb depuis des heures et des heures pour trouver de quoi manger et un peu de répit. Un vieux gars gentil les dépose à un relais routier et leur donne quelques sous. Maben s’octroie le grand luxe de prendre une chambre minable pour que sa fille Annalee puisse se reposer. Il ne reste que quelques dollars. La nuit, Maben observe deux prostituées par la fenêtre de sa chambre, elle se dit qu’elle pourrait, elle aussi, gagner de l’argent facilement. Elle sort et rejoint un camion dont le chauffeur n’attend que ça mais elle est interceptée par un flic véreux et pervers qui décide de profiter d’elle à l’abri des regards. En parallèle, Russell sort de prison après y avoir croupi onze ans. En arrivant dans sa ville, il se fait casser la figure par deux frères pour qui le châtiment carcéral n’a pas suffi. Russell rejoint son père qui l’attend depuis si longtemps, il fait passer le temps et il se débrouille maladroitement avec cette nouvelle liberté sur les bras. Le hasard -ou le destin- va rapprocher Maben et Russell.
Ce roman, c’est l’histoire de deux âmes errantes qui se rencontrent, deux vies brisées que le destin a réunies. Un relent tragique parcourt ces pages mais sans jamais s’appesantir, sans tomber dans un pathétique qui pourrait agacer. L’écriture est à l’image du scénario : simple et efficace, point trop n’en faut pour toucher le lecteur et l’emmener dans cet univers poussiéreux, incandescent et sans merci. J’ai vraiment beaucoup apprécié cette lecture, sur la quatrième de couverture, on la rapproche d’un Faulkner, d’un McCarthy, moi j’ai pensé au film Bagdad Café ou à l’univers de Jim Harrison ou encore à l'ambiance des Souris et des hommes de Steinbeck. C’est sombre sans être pessimiste, c’est empli de vide sans être creux, et puis on s’attache vite à ces deux personnages à la fois complexes et bouleversants. J’aurais pu en faire un coup de cœur si la fin ne comportait pas quelques petites gaucheries dont on se serait passé. Mais Michael Farris Smith est sans aucun doute un grand auteur à suivre (ce n’est que son deuxième roman) !
« Elle s’était rendu compte avec le temps que les mauvais coups, une fois que c’était parti, s’amoncelaient et proliféraient comme une espèce de plante grimpante sauvage et vénéneuse, un lierre qui courait tout le long des kilomètres et des années, depuis les visages brumeux qu’elle avait connus jusqu’aux frontières qu’elle avait franchies et à tout ce qu’avaient pu instiller en elle les inconnus croisés en chemin. Un lierre qui s’étendait et se ramifiait sans cesse, s’entortillait autour de ses chevilles et autour de ses cuisses et autour de sa poitrine et autour de sa gorge et de ses poignets et qui se faufilait entre ses jambes, et en regardant la fillette endormie avec son front brulé par le soleil et ses petits bras chétifs elle comprit que cette enfant n’était autre que sa propre main crasseuse qui tentait désespérément de s’extirper de cette masse grouillante de chiendent pour se raccrocher à quelque chose de bien. »
« Et les mots avaient donné un surcroît de réalité à quelque chose qui n’existait pas auparavant. »
Je remercie les Matchs de la Rentrée littéraire pour l'envoi de ce roman (j'ai choisi au hasard et je m'en félicite!)