Dans un petit village tchèque, non loin de la frontière autrichienne, en 1947, Magdalena tombe enceinte à même pas 20 ans. Elle a succombé aux charmes de Josef, le fils du patron, qui l’a aussitôt ignorée. C’est la mère de Magdalena, Marie, qui va l’aider à l’accoucher, seule. Elle a l’habitude. Elle a l’habitude aussi des bâtardes puisque sa fille en est une. Après Magdalena, c’est sa fille Libuse qui connaît le même sort puisqu’elle couche avec un soldat russe qui meurt quelques heures plus tard. Enfin, c’est Eva, la moderne, l’érudite qui, lorsqu’elle remplira ses papiers d’identité, devra laisse blanche et vide la ligne réservée au nom du père.
Récit résolument féminin et féministe, ces quelques pages cognent, heurtent et ont marqué la lectrice et (surtout) la femme que je suis. Dans des conditions difficiles, à une époque plutôt rude, le comble pour ces femmes est d’élever seules un enfant – une fille qui plus est - et, même si elles sont parfois avares en tendresse, elles sont fières de leur statut si particulier. Elles ne pleurent pas car les larmes, « on les avale, on les économise pour les grandes occasions. […] comme la beauté, par exemple. On peut pleurer lorsqu’on rencontre la beauté.»Elles portent leur prénom et pour nom, le prénom de leur mère, de leur grand-mère à une époque où c’était une honte d’être fille-mère. Le récit gagne en force au fil des générations, un lien très fort est tissé entre toutes ces femmes qui trouvent force et caractère dans ce qui pourrait être considéré comme une faiblesse inavouable. Chacune des femmes est une brodeuse émérite, chacune se débrouille et subvient à ses besoins malgré les assauts des hommes, malgré l’hostilité ambiante, malgré le manque de chance. L’arrière-plan historique est à la fois intéressant (toute l’histoire de la Tchécoslovaquie est contenue dans le livre !) et finalement accessoire parce que ça aurait bien pu se passer chez nous il n’y a pas si longtemps que ça.
J’ai adoré ce roman que j’ai lu trop vite, que j’aimerais relire pour m’imprégner de cette force omniprésente et contagieuse. Les hommes sont soit boiteux, soit morts, soit absents et effacés dans un univers où la définition de la femme sort des sentiers battus. Magnifique et vivifiant !
« Je me rappelle qu’en chemin vers la ferme le lever du soleil nous a rattrapées. La lumière blanchâtre arrachait à la nuit les contours du village, des maisons, des arbres et des champs. L’air, empli de la petite rosée, allait vite se charger de chaleur. »
« Je hais ma mère autant que je l’aime. »
« Il faut le préciser, on est des bâtardes de mère en fille, comme certains sont boulangers ou rois. »
« La poésie c’est souffrir avec élégance, ce qui rend notre propre souffrance non seulement supportable mais belle. »