L’amie prodigieuse tome 2.
Après avoir apprécié le premier tome, il me tardait de lire la suite de cette saga couvrant plusieurs décennies.
Nous avions quitté Lenù le jour du mariage de Lila lorsque cette dernière découvre, effarée, que son mari Stefano s’est acoquiné avec les Solara pour une énième affaire de chaussures… C’est le point de départ d’une période faite de déceptions, de regrets et de désamour. Elena est toujours amoureuse du mystérieux et réfléchi Nino Sarratore tandis que Lila comprend qu’elle s’est trompée en se mariant avec Stefano. Comme pour confirmer cette erreur, elle ne parvient pas à tomber enceinte et les rumeurs circulent dans le quartier napolitain de leur enfance. Pour être au meilleur de sa forme mais surtout parce qu’elle l’a désiré, Lila convainc son mari de l’envoyer en vacances à Ischia, petite île paisible, avec Elena. Là-bas, Nino sera au cœur des discussions, des rencontres, des amours mais pas comme on pourrait s’y attendre… Alors que Lila tente de supporter l’échec de son mariage dans les bras d’un amant, Lenù réussit brillamment ses études qu’elle poursuit à Pise, ville où elle rencontrera d’abord Franco, un jeune homme riche qui lui offre habits, livres et surtout estime de soi, puis Pietro, destiné à devenir, peut-être, son futur époux.
La dépendance de Lenù vis-à-vis de Lila est frappante, elle agit en fonction de son amie, elle réagit en se demandant comment Lila aurait parlé, aurait fait, aurait pensé. Malgré les mauvais choix de Lila et sa vie ratée, elle reste un modèle pour la discrète mais très intelligente Elena. Cette domination inconsciente et silencieuse traverse tout le roman. Lila est comme une ombre qui plane constamment sur le parcours, les choix et le destin de son amie. Lila est celle qui ose et s’oppose, celle qui innove et crée la vie. Lenù ne semble que suivre un chemin tout tracé qui, grâce à un travail régulier et intelligent certes, la mènera de toute façon vers la réussite et vers une vie rangée et pépère. L’épisode de Pise (quelques années dans sa vie mais à peine une bonne dizaine de pages dans le roman) est peut-être le seul où Elena vole de ses propres ailes, s’affirme en tant qu’étudiante libre et indépendante et se détache de cette aura souvent malfaisante de Lila. Pourtant, Lenù ne se confie que très rarement à Lila, il lui arrive de la détester mais elle ne cesse de la défendre, de la suivre ne serait-ce qu’en pensée, comme une « espèce de petit chien terne mais fidèle qui lui servait d’escorte. » Cette relation m’a paru douloureuse et je crois que tout lecteur voit avec bonheur et soulagement une Elena s’ouvrir et réussir loin de Lila.
J’ai encore une fois pris plaisir à cette lecture, malgré quelques longueurs, l’amitié malmenée et parfois tronquée de cette deux adolescentes devenues de jeunes adultes est décrite avec justesse et nuances. Les rebondissements dignes des Feux de l’amour rendent l’intrigue palpitante même si on a l’impression que c’est Lila, par ses frasques, son obstination et ses impétuosités, qui fait tout le boulot. Le style fluide et romanesque de l’auteur donne du souffle à ces histoires et ces anecdotes. Le mystère qui entoure son identité rajoute une certaine vigueur à la mise en abyme présente à la fin du roman. C’est plein de vie, c’est coloré, ça redore l’image de la femme (les hommes n’ont-ils pas une place bien moindre dans le roman ?) Après la dernière page, non, les deux derniers mots, oui, oui, j’ai envie de lire la suite !
« Était-il possible que les parents ne meurent jamais et que chaque enfant les couve en soi, de manière inéluctable ? Ma mère avec sa démarche boiteuse surgirait-elle donc vraiment un jour en moi, avec la fatalité d’un destin ? »
« Voilà en gros ce qui m’arriva à Pise, de la fin 1963 à la fin 1965. C’est si facile de parler de moi sans Lila ! Le temps s’apaise et les faits marquants glissent au fil des années, comme des valises sur le tapis roulant d’un aéroport : je les prends, je les mets sur la page, et c’est fini. »
« elle réagissait en m’expliquant qu’en réalité je n’avais rien gagné, que dans ce monde il n’y avait d’ailleurs rien à gagner, que sa vie était aussi débordante d’aventures surprenantes que la mienne, et que le temps ne faisait que passer, sans aucun sens : il était simplement agréable de se voir de temps en temps pour entendre la musique folle du cerveau de l’une faire écho à la musique folle du cerveau de l’auteur. »