Nell et Eva, respectivement âgées de dix-sept et dix-huit ans, vivent seules, recluses dans leur maison isolée dans la forêt. Leurs parents sont morts, leur pays – les Etats-Unis - est malmené par des maux si nombreux : guerres, épidémies, violences en tous genres, que l’électricité et le pétrole viennent à manquer. Les nombreuses réserves de la maison assurent pour un moment un confort minimal dans l’attente de retrouver une vie normale. Nell potasse ses encyclopédies, c’est Harvard qu’elle lorgne ; Eva danse toute la journée avec l’ambition d’en faire son métier. Mais les ennuis s’accumulent : mauvaises rencontres, disputes, météo infernale, souffrances,… La réponse, comme on peut le penser, l’espérer au début du roman, ne viendra pas de l’homme.
Boulimique de lectures, j’aime souvent arriver à la fin d’un bouquin, tout simplement pour le plaisir d’en commencer un autre. Pour celui-ci, et cela va rester désormais mon critère de qualité, j’ai aimé rester à la dernière page, visualiser ces deux sœurs, m’imprégner de leur force, de leurs enseignements, savourer encore un peu l’écriture à la fois délicieuse et efficace de cette romancière. J’aurais voulu y rester encore un peu dans cette forêt ressourçante, rassurante et apaisante. Il émane de ce livre une force aussi bien dans l’intrigue, dans les personnages que dans l’écriture. C’est une histoire qui touche à notre intime, à notre moi le plus profond nettoyé de tous les parasites de la société, de la famille, de l’éducation. La dernière fois que j’ai ressenti une telle émotion de lecture qui m’a autant ouvert le ventre, c’est quand je lisais le passage où Robinson se vautrait dans sa souille dans Vendredi ou les limbes du Pacifique.
Un roman qui agrippe et qu’on agrippe, qui serre la gorge et remue les tripes ! Quelle puissance et quelle justesse !
Bon sang, quel indéniable coup de cœur !
« La question que je pose sans fin à mon reflet, c’est : Qui es-tu ? Mais cela ne viendrait jamais à l’esprit d’Eva de se demander qui elle est. Elle se connaît jusque dans les moindres os de son corps, les moindres cellules, et sa beauté n’est pas un ornement ; c’est l’élément dans lequel elle vit.
Malgré son habileté avec le feu, Eva me fait toujours penser à l’eau. Elle est gracieuse et vive comme le ruisseau de l’autre côté de notre clairière. Comme lui, elle semble satisfaite de vivre une partie de sa vie sous terre, certaine – même maintenant – d’aller quelque part.
Quand elle danse, ça se voit. Elle est sûre d’elle, si débordante de vie qu’elle anime quiconque la regarde. Quand elle ne danse pas, elle est silencieuse, calme, un peu rêveuse, comme si danser c’était vivre pour elle. »