Ce roman a une histoire toute particulière. Irène Némirovsky, juive, a 39 ans quand elle est arrêtée, en juillet 1942, puis déportée à Auschwitz où elle mourra, un an plus tard. Elle laisse derrière elle une trilogie inachevée dont nous ne possédons que les deux premiers tomes réunis sous ce titre, Suite française.
Dans le premier opus intitulé « Tempête en juin », l’auteur raconte l’exode massif des Parisiens vers la province en ce mois de juin 1940. La peur, la précipitation, l’angoisse de l’inconnu, l’art de gérer les priorités, le chapardage pour survivre… et surtout cette image d’une grande envolée désorganisée et empressée. Les personnages sont nombreux, certains se révèlent dans cette situation critique, dans le bon sens comme dans le mauvais sens, se montrant égoïstes ou au contraire, généreux.
Dans le deuxième livre, « Dolce », l’atmosphère est plus posée. L’ennemi a envahi les maisons, les villages, les chambres. Il faut cohabiter avec les Allemands dans ce petit village de Bourgogne. Mais l’Allemand n’est pas toujours un rustre, n’est pas toujours un homme inculte, n’est pas toujours un hôte irrespectueux. Lucile va le découvrir très vite. Vivant seule avec sa belle-mère alors que son mari (qu’elle n’aime pas) est absent, elle va apprendre à connaître ce commandant Bruno von Falk, apprécier sa sensibilité, son tact, sa culture.
Des deux romans, c’est le second que j’ai préféré. Cette vie à côté de l’ennemi est décrite avec finesse et subtilité, on comprend bien que, même s’il s’agit de l’ennemi, après des semaines et des mois de cohabitation, c’est l’humain qui prime. Le thème est également évoqué par Vercors, presque simultanément, dans l'excellent Silence de la mer. L’Allemand est - lui aussi - un mari, un père, un amant, un nostalgique…, une victime. Il s’agit d’hommes et de femmes. La fin du roman est extrêmement touchante, très juste et empreinte d’un triste espoir quand on connaît les circonstances de la mort de l’écrivain.
C’est la fille d’Irène Némirovsky qui a lu pour la première fois le manuscrit caché dans une petite valise, en 1998, qui ne sera publié qu’en 2004. L’écriture est belle, la précision dans la description des sentiments, le portrait des personnages m’a fait penser au style de Stefan Zweig dont on pourrait reprendre un titre, « La confusion des sentiments » qui siérait si bien à Lucile.
Une belle découverte en livre audio, même si j’aurais tendance à dire qu’il faudrait privilégier la version papier pour mieux goûter aux qualités de ce texte si riche.
« Les êtres passionnés sont simples, se dit-elle encore; elle le hait, et tout est dit. Heureux sont ceux qui peuvent aimer et haïr sans feinte, sans détour, sans nuance. »
« Ils se disaient que la raison, le cœur lui-même pouvaient les faire ennemis, mais qu'il y avait un accord des sens que rien ne pourrait rompre, la muette complicité qui lie d'un commun désir l'homme amoureux et la femme consentante. »