De Jean Echenoz, j’avais plutôt gardé un mauvais ancien souvenir de Je m’en vais, lu à sa sortie (donc il y a longtemps, en 1999). Mon appréhension s’est muée en intérêt avec Courir que j’avais beaucoup aimé mais avec ce roman surprenant et foisonnant, cet écrivain remonte en flèche dans mon estime, pour atteindre des sommets !
Constance se fait enlever en douceur, au coin discret d’une rue parisienne, par trois hommes dont un qui l’attire beaucoup. Sans la maltraiter, les ravisseurs l’emmènent dans la Creuse, lui fournissant nourriture et lecture. Pourquoi ce rapt ? Le lecteur ne le comprendra pas tout de suite mais d’emblée, le ton est donné, celui du décalage, de la surprise et de l’humour. Prenons par exemple Lou Tausk. C’est le mari de Constance. Il a créé un tube interplanétaire interprété par Constance elle-même (entre autres) et, quand il reçoit une demande de rançon pour pouvoir récupérer son épouse, nullement affolé, il s’en va demander conseil à son demi-frère, Hubert. Au passage, il séduit sa très belle assistante, Nadine, avec qui il va couler quelques jours heureux (voir extraits ci-dessous). Personne ne s’inquiète réellement de la disparition de Constance, en fait. Et la jeune femme découvre la vie creusoise avec plaisir, finit par s’attacher à ses ravisseurs qui eux aussi, pris d’affection pour elle, vont la cacher dans un cockpit d’éolienne pour contrer les exigences de leur commanditaire.
Sans vouloir en dire trop, je peux tout de même rajouter qu’à Constance est destinée une mission top secrète d’espionne en Corée du Nord, pays qu’on va découvrir (un peu à la manière de Guy Delisle dans Pyongyang). On s’imagine (enfin moi en tous cas) qu’Echenoz nous raconte des cracs quand il nous parle des mœurs et des dirigeants de ce pays si étrange, ben non, vérifications faites, tout est vrai et servi à volonté pour nous régaler encore et encore. Le style ? Un « on » récurrent qui permet au lecteur de prendre part à l’action, des interventions de l’auteur tout aussi plaisantes et quelques zeugmes, chers à mon cœur. Un roman d’espionnage qui n’en est pas vraiment un, du loufoque savamment dosé, des personnages pittoresques, bref : un gros bonheur de lecture que ce bouquin !!
L’histoire d’amour entre Nadine et Tausk - au début : « C’est allé très vite avec elle, on ne se quitte guère, on se parle beaucoup, la plupart du temps au lit où l’on conçoit le projet classique de filer au bout du monde pour y couler, en paix des jours heureux. Où donc filer au juste, eh bien nous verrons bien. »
… et quelques chapitres plus tard : « Ces derniers jours, du côté de Lou Tausk et de Nadine Alcover, rien n’est advenu de très neuf sauf que l’idée de partir au bout du monde s’est un peu estompée. C’est qu’à la réflexion, le monde avec ses guerres actives et larvées, ses raideurs ethniques, politiques, religieuses, tribales, raciales, claniques, ses fractures nucléaires, sa mise en coupe réglée, son terrorisme et son tourisme et ses mêmes magasins partout, eh bien ce monde on en reparlerait plus tard, on est très bien ensemble et on n’est pas plus mal chez soi, et allons donc baiser. »
« Il s’y remettra vite à fumer ainsi que de ses désillusions »