Après avoir vu l’auteur à La Grande Librairie, je me suis dit que je n’avais jamais lu un traître mot d’un seul de ses bouquins. Mon choix s’est porté sur Truismes qui avait fait son petit grabuge à l’époque (mais en 1996, j’étais si jeune !)
La narratrice est une jeune femme un peu paumée et sans le sou qui vit à Paris. Elle s’éprend d’Honoré et se retrouve employée dans une parfumerie… un lieu de travail un peu particulier puisqu’il s’apparente à une maison close. La narratrice voit son corps changer. Plus rose, plus rond, plus ferme. Ses formes plaisent terriblement à ses clients qu’elle régale autant qu’elle le peut tout en gardant son petit ami. Oui, mais son corps va encore davantage se métamorphoser, elle va grossir sans rien manger, ses poils vont pousser, sa peau rose va tendance à rougir… et, une tache bleue sous un sein… va se transformer en téton ! Et oui, il s’agit bien d’une métamorphose en cochon ! Un marabout africain va tenter de l’aider mais c’est avec Yvan qu’elle va fuir et se sentir le mieux du monde. En effet, son amant se mue en loup les soirs de pleine lune, il y a de quoi trouver l’âme sœur.
Des références littéraires diverses me sont venues à l’esprit : Rhinocéros de Ionesco bien sûr, la Darling (pour le côté dégoûtant!) de Teulé, une réécriture des contes traditionnels mais aussi un petit quelque chose de Boris Vian dans le domaine de l’absurde … J’ai trouvé le début du roman excellent, la métamorphose est lente et insidieuse, elle surprend à peine un personnage féminin très naïf et qui, victime, pourrait représenter la figure de l’« anti-héroïne ». Bien sûr, ce n’est pas à lire au sens littéral, il y a derrière les grognements de la truie, derrière ses ébats dans la souille, derrière son camouflage dans la nature, la satire d’une société en transformation. Les marginaux sont traqués et doivent errer pour se cacher, les forces de l’ordre et les médias sont partout. L’utilisation de la première personne rend le récit dérangeant, et vers la fin du texte, même oppressant. Ça m’a pourtant plu de lire cette allégorie fantastique qui s’interroge également sur l’image de la femme dans notre société. C’est souvent drôle, notamment ce passage où la femme-truie qui ne sait plus utiliser ses « mains » tombe sur des livres qu’elle commence à lire, et soudainement, elle se redresse et retrouve ses apparences d’humaine.
L’incipit est très fort : « Je sais à quel point cette histoire pourra semer de trouble et d'angoisse, à quel point elle perturbera de gens. Je me doute que l’éditeur qui acceptera de prendre en charge ce manuscrit s’exposera à d’infinis ennuis La prison ne lui sera sans doute pas épargnée, et je tiens à lui demander tout de suite pardon pour le dérangement. Mais il faut que j’écrive ce livre sans pus tarder, parce que si on me retrouve dans l’état où je suis maintenant, personne ne voudra ni m’écouter ni me croire. Or tenir un stylo me donne de terribles crampes. Je manque aussi de lumière, je suis obligée de m’arrêter quand la nuit tombe, et j’écris très, très lentement. Je ne vous parle pas de la difficulté pour trouver ce cahier, ni de la boue, qui salit tout, qui dilue l’encre à peine sèche. »
« J’avais constamment faim, j’aurais mangé n’importe quoi. J’aurais mangé des épluchures, des fruits blets, des glands, des vers de terre. La seule chose qui vraiment continuait à ne pas passer, c’était le jambon, et aussi le pâté, et le saucisson et le salami, tout ce qui est pourtant pratique dans les sandwichs. Même les sandwichs au poulet ne me donnaient pas le même plaisir qu’avant. Je mangeais des sandwichs à la patate crue. »