Si vous êtes comme moi, légèrement réticent à l’idée de lire un récit qui se passe à la fin du XVIIe siècle, oubliez votre réserve et lisez ce fabuleux roman !
Amsterdam, octobre 1686. Nella Oortman est une jeune fille de 18 ans qui vient d’être mariée. Elle n’a, bien évidemment, pas choisi son mari, et elle débarque de sa campagne natale pour vivre avec son riche marchand de mari, Johannes Brandt (bien plus vieux qu’elle : il a 39 ans !). A son arrivée, c’est la sœur de Johannes qui l’accueille, Marin, une femme froide et autoritaire ; la servante Cornelia étonnamment familière voire insolente avec ses maîtres et un serviteur noir, Otto. Le mari n’arrivera que plus tard et même si Nella redoute ce moment, il ne vient pas la voir dans son lit à la nuit tombée. Il ne viendra jamais la voir dans sa chambre. Il est pourtant attentionné et doux, il lui offre, en guise de cadeau de mariage, une maison de poupée fidèle à la nouvelle maison de la jeune épouse. Il ne reste donc plus qu’à Nella à la remplir. Pour cela, elle écrit à une miniaturiste qui lui envoie rapidement de petits personnages, copies fidèles des habitants de la maison. Le souci du détail surprend Nella mais elle comprend vite que cette miniaturiste qu’elle ne parvient pas à rencontrer, en sait encore beaucoup plus qu’elle sur la maison et ses habitants…
Ce roman initiatique est également un fascinant voyage dans le temps, une plongée dans l’Amsterdam du XVIIème siècle, à une époque où une majorité des hommes considèrent un Noir comme un animal, à une époque sombre où tout le monde entre à l’église : les étourneaux qui volent dans la nef, les chiens qui aboient et pissent où ils veulent, à une époque où les magistrats noient les homosexuels appelés « sodomites ». Car vous l’aurez peut-être deviné, si Johannes n’accomplit pas son devoir conjugal, c’est parce qu’il aime les hommes. Non seulement Jessie Burton (elle n’a que 33 ans et c’est son premier roman !) est une conteuse extraordinaire, mais aussi une ciseleuse de mots qui travaille ses phrases comme un joaillier ; son écriture est d’une rare beauté qui envoûte complètement le lecteur. J’ai été subjuguée, enchaînée à ces 500 pages (et j’en aurais lu quelques centaines de plus sans problème) même pas dérangée par la dimension fantastique qui ne fait qu’effleurer l’intrigue principale, totalement séduite par les personnages merveilleusement décrits. Non, je n’en fais pas trop, c’est un roman à ne pas manquer!
Nella assiste à une naissance : « Nella passe la tête sous les volants brûlants et scrute ce qui s’impose à elle. C’est le spectacle le plus extraordinaire qu’elle n’ait jamais vu. Ni de chair ni de rêve, ni divin ni humain, et pourtant tout cela à la fois. A cet instant, on dirait une chose venue d’une terre lointaine. Une petite chose étendue jusqu’au gigantisme, une énorme bouche obturée par un crâne de bébé. »
Les habitants de la maison : « Ils sont tous des brins de laine abandonnés aux quatre vents… mais ça a toujours été le cas, remarque Nella. Nous formons ensemble une trame tissée d’espoir dont la confection ne revient qu’à nous. »