De Rien ne s’oppose à la nuit, j’étais ressortie chamboulée, retournée, émerveillée, comme beaucoup. Je crois que malheureusement – et je l’ai fait aussi – on compare beaucoup les deux derniers romans de l’auteur.
Après le succès phénoménal de son dernier roman, Delphine de Vigan s’est sentie en décalage, prise de vertige face à l’agitation médiatique, face à cette question lancinante : «Qu’allez-vous écrire après ça ? ». Et puis, Delphine rencontre L., cette femme énigmatique, parfaite, très féminine, élégante, sûre d’elle. Rapidement, L. prend une grande place dans la vie de Delphine, toutes deux rient, boivent, parlent de littérature. Prévenante et attentionnée, L. lui rappelle qu’elles ont été dans la même classe au lycée mais Delphine ne s’en souvient pas. L. est présente alors que François, l’amoureux de Delphine est à l’étranger, L. est là et comble l’absence des enfants de Delphine partis faire des études loin de leur mère. Et surtout, L. est aux côtés de notre écrivain quand lui arrive l’immense panne d’écriture.
Si Delphine ne sait d’abord plus comment ni quoi écrire, bientôt elle se retrouve dans l’incapacité totale d’écrire une seule ligne, de signer un papier quelconque, d’envoyer un mail de réponse ou un courrier administratif. Mais L. est là, fidèle, dévouée. Et L. parle beaucoup d’écriture avec Delphine, elle aimerait que Delphine abandonne la fiction au profit de la vérité, elle est persuadée que les lecteurs « attendent du Vrai, de l’authentique, ils veulent qu’on leur raconte la vie. […] ils veulent savoir de quoi tu es faite, d’où tu viens.» Delphine n’est pas d’accord et souhaiterait revenir à la fiction, pensant y mettre de la même manière que pour un récit autobiographique, son énergie, sa sincérité.
Etrangement, L. parle très peu d’elle-même, elle semble libre comme l’air, toujours disponible au point de s’installer chez Delphine lorsque celle-ci fait une mauvaise chute et se blesse au pied. De fil en aiguille et répondant à son incapacité d’écrire, L. va rédiger des courriers à la place de l’écrivain, elle répondra aux mails en attente, elle écrira le courrier de son amie. Elle ira jusqu’à se faire passer pour Delphine lors d’une rencontre avec des lycéens. Même si l’écrivain lui est reconnaissante et redevable, un malaise grandit, L. lui ressemble de plus en plus dans ses attitudes, dans son comportement, L. insiste de plus en plus pour que Delphine écrive un livre où la fiction serait absente. Delphine se sent épiée, son espace de vie semble être complètement occupé et envahi par L. et pourtant, dans la maison de François, à Courseilles, elle a une illumination : le sujet de son prochain livre sera L. ! Car L. a commencé à se livrer, elle parle du suicide de son mari, de la mort de sa mère, de son enfance malheureuse. Delphine y voit une formidable matière et si elle est encore incapable de tenir un stylo, elle va passer ses journées à enregistrer le texte qu’elle chuchote et à interroger le plus discrètement possible L. Elle ressent une sorte de victoire, ce n’est plus L. qui a une totale emprise sur elle… jusqu’au jour où Delphine comprend que L. tente de l’empoisonner…
Thriller psychologique passionnant, ce roman est aussi une réflexion sur l’écriture, sur la part de vérité et de réalité que chaque auteur veut bien mettre dans son œuvre. L’auteur nous manipule finement, la fin est une belle réussite même si on s’interroge très tôt sur l’identité métaphorique de L. : serait-elle un double de l’auteur ? Symboliserait-elle une partie du lectorat friand de vérité ? Existe-t-elle vraiment ? Delphine devient-elle folle ? Dès le début, on croit à une autobiographie, l’auteur nous livrant par-ci par-là ces fameux « effets de réel ». Puis on comprend qu’avec un esprit d’autodérision délicieux, elle nous mène en bateau depuis la première page, et c’est tant mieux ! Drôle, puissant, ce roman est un vrai roman aux allures trompeuses d’autobiographie et un vrai pied-de-nez aux lecteurs qui auraient encore l'audace ou la bêtise de comparer les deux derniers livres de de Vigan!
Un délice de lecture.
« Si j’y réfléchis, L. s’est très vite positionnée comme une personne ressource : quelqu’un de fiable, d’une rare disponibilité, sur qui je pouvais compter. Quelqu’un qui s’inquiétait de moi, qui offrait son temps comme aucune personne adulte de ma connaissance. »
« je ne suis pas sûre que le réel suffise. Le réel, si tant est qu’il existe, qu’il soit possible de le restituer, le réel, comme tu dis, a besoin d’être incarné, d’être trnasformé, d’être interprété. Sans regard, sans point de vue, au mieux, c’est chiant à mourir, au pire c’est totalement anxiogène. Et ce travail-là, quel que soit le matériau de départ, est toujours une forme de fiction. »