Jasper Gwyn a en main les clés de la réussite : écrivain talentueux, ses écrits plaisent tant qu’il commence à devenir célèbre. Et pourtant, il arrête tout du jour au lendemain. Il envoie un article au Guardian pour qui il travaille régulièrement, détaillant les cinquante-deux choses qu’il ne ferait plus jamais, la dernière étant de ne plus écrire de livres. Délaissant la vie professionnelle et médiatique, Mr Gwyn va connaître les affres de la solitude, de la déprime, mais, malgré les sollicitudes de son ami et agent Tom, il va tenir bon et ne plus écrire. Ça le démange pourtant tellement qu’il lui arrive d’écrire des livres entiers dans sa tête ! Et puis, surgit une idée : celle d’écrire des portraits à la manière d’un peintre qui tente de croquer son modèle de la manière la plus juste. Pour cela, quelques ingrédients lui sont nécessaires : un grand appartement vide qui sera son atelier, une musique discrète que lui composera un ancien ami, dix-huit ampoules allumées constamment pendant trente-deux jours et diffusant une « lumière enfantine » et un modèle nu. Mr Gwyn demande à Tom de lui « prêter » son assistante Rebecca, une femme ronde et charmante qui accepte le défi parce qu’elle a l’habitude qu’on lui propose tout et n’importe quoi.
Pendant trente-deux jours, à raison de quatre heures par jour sans aucun repos, Rebecca va évoluer nue dans ce grand appartement, marcher, s’asseoir, se coucher… et Mr Gwyn va l’observer avant de prendre des notes. Il ne s’agit pas de la décrire au sens propre du terme mais d’apprendre à la connaître, écrire une histoire qui lui ressemble, une histoire qui EST elle. L’expérience insolite plaît aux deux protagonistes. Rebecca se sent vite à l’aise, il lui arrive même de s’endormir, de parler. Mr Gwyn aimerait en faire son métier qu’il a nommé « copiste ». L’aventure continue avec d’autres modèles qui, chaque fois, se prêtent au jeu, qui, chaque fois, lisent avec délectation LEUR histoire de quelques pages.
Il m’est toujours très difficile de parler d’un roman que j’adore, j’ai peur de l’abîmer, de ne pas lui rendre justice. Cette lecture fut un véritable COUP DE CŒUR. Elle allie avec beaucoup de grâce poésie, philosophie, ésotérisme et intrigue policière. Le parfum de magie qui y règne du début à la fin m’a envoûtée. Imaginez deux êtres se connaissant très peu cohabitant dans la même pièce pendant quatre heures, sans se parler, en vivant simplement l’un à côté de l’autre… et cet écrivain qui essaye d’extraire l’essence même de l’être qu’il côtoie … et ces dix-huit ampoules qui s’éteignent une à une, qui « meurent simplement, sans agoniser et sans faire de bruit ». Sans parler de l’idée en elle-même, révolutionnairement géniale : écrire un texte qui symbolise un être humain, consacrer son temps, son silence, son âme à un parfait inconnu, j’adore !
« Jasper Gwyn s’était imaginé que les gens rapporteraient chez eux quelques pages écrites, et qu’ils conserveraient dans un tiroir fermé à clé ou sur une table basse. Comme ils auraient pu conserver une photographie ou accrocher un tableau au mur. »
« Souvent il arrivait en retard, quand Rebecca était déjà dans l’atelier. Il pouvait s’agir d’une dizaine de minutes, mais parfois d’une heure. Il le faisait délibérément. Il aimait la trouver étrangère à elle-même, abandonnée au fleuve sonore de David Barber et dans cette lumière – tandis que lui était encore sous l’emprise de la réalité crue et du rythme du monde extérieur. Il entrait alors en faisant le moins de bruit possible et s’arrêtait sur le seuil, la cherchant du regard comme dans une grande volière : l’instant où il la repérait, c’était l’image la plus nette qu’il garderait en mémoire. Elle, avec le temps, s’était habituée et ne bougeait pas à l’ouverture de la porte ; elle se tenait comme elle se tenait. »