Pièce de théâtre en 14 séquences qu’on peut aisément qualifier de « drame ». Mauvignier, qui s’est illustré dans l’écriture de récits (Autour du monde), se fait connaître ici en tant que dramaturge.
Un homme, le Père, revient dans sa maison familiale à l’occasion de l’enterrement de son père. Accompagné de sa femme, la Mère, il rencontre Elisa, une jeune fille discrète qui affirme être sa fille. En effet, le Père et la Mère ont perdu leur fille aînée une dizaine d’années auparavant, mystérieusement disparue près d’un bois, non loin de cette maison familiale.
Alors que la Mère ne veut même pas rencontrer cette fille qu’elle accuse de n’être qu’une usurpatrice, le Père fait venir le Fils de la ville. Lui aussi a son mot à dire, lui aussi veut sans doute revoir sa sœur dont la disparition a hanté toute la famille. Mais la Mère s’entête, cette Elisa ne peut être sa fille, le Père aimerait y croire. Les cordes trop tendues lâchent, la mère avoue qu’elle ne peut voir revenir une fille qui a grandi, qui n’est plus telle qu’elle l’était alors : « Elle a six ans et elle aura toujours six ans. »
Après le calme du début de la pièce, la tension monte, les vérités claquent, les faux-semblants se révèlent au grand jour. Le style de Mauvignier apporte une puissance à cette histoire de fille retrouvée (ou non retrouvée, la pièce ne donne pas de réponse), une force aux relations si fragiles des personnages. J’ai trouvé de nombreux points communs entre ce texte et Le Voyageur sans bagage d’Anouilh mais ici, on insiste sur ceux qui restent, sur cette mère qui pense que son mari en sait plus qu’elle, sur ce fils à qui on ne fête plus les anniversaires avec le même engouement, sur la vie qui prend finalement un masque, un masque sordide, on fait semblant de vivre sans en sentir la vraie saveur.
Un joli moment de lecture. Les indications scéniques, très importantes et très précises, sont tout aussi intéressantes que les répliques. L’auteur privilégie la sobriété et la simplicité pour mettre en valeur les êtres et les sentiments exprimés : « Ce qui travaille d’abord, c’est la notion de frottement : l’intime se joue entre les êtres sur le plateau. Silences, dénis, non-dits, souffles entre les corps. »
Le cri du cœur d’une mère pour son fils, pour « celui qui reste » … : « Tout mon amour… mais c’est elle mon amour, c’est à elle que je l’ai donné, à son absence, à son manque… tout mon amour c’est ce qui me déchire toutes les minutes de ma vie alors… qu’on donne tout à celui qui reste ? Mais… je ne peux pas, je n’ai jamais pu. Et le pire, c’est que de toute façon, je ne veux pas. Tu entends ? Je ne veux pas. »
Et je participe au challenge d’Eimelle !