Deux journaux intimes : celui de Max Corneloup, célibataire et auteur de feuilletons pour la radio, et celui d’Eugène Fluche, un artiste peintre spécialisé dans les œufs (oui, dans les œufs…). Leurs points communs ? Habiter rue de la Doulce-Belette, s’épier l’un l’autre toute la journée et se détester. Dans leur immeuble respectif, des locataires plus farfelus les uns que les autres se croisent : une concierge qui écrit régulièrement des lettres à sa mère morte, un cinéaste qui ne filme rien mais colle bout à bout des scènes de films existants (j’adore cette idée !), un auteur de romans érotiques, un ado autiste, une veuve dingue de son chien que Corneloup va malencontreusement écraser avec un carton… et si cet homicide canin ne serait pas le point de départ d’une aventure insolite, colorée, stupéfiante, et surtout le début d’une série d’autres crimes ? … Bizarre, vous avez dit bizarre ? Rajoutons à cela des immenses baies vitrées à chaque appartement, des rideaux interdits pour raison esthétique, des serrures parfaitement identiques, des logements spacieux si facilement accessibles…
Un « polar rigolo » serait une manière bien trop expéditive et trop grossière pour qualifier ce roman brillant, ingénieux et subtil qui va de surprises en surprises. Une lecture souriante et réjouissante. A l’image des protagonistes, le lecteur se fait bien manipuler, il ne voit rien venir et en redemande. En tous cas, moi, j’en redemande et j’ai très envie de découvrir d’autres romans délirants de ce J.M. Erre si peu recommandable !
Mme Polenta, c’est l’autre concierge, une trentenaire hyper sensuelle qui sait mettre ses formes en valeur : « Elle transforme le macho le plus fier en adolescent lourdaud, le misogyne le plus méprisant en pubère complexé. Sa sensualité triomphante renvoie les mâles à leurs insuffisances. »
Lorsque Corneloup espionne son voisin d’en face en train de peindre sur des œufs en commentant ses faits et gestes : « L’œuf peint procure l’extase. Le temps s’arrête. Dieu existe. L’opération nécessite une grande application. Penché sur son pupitre, notre homme s’échine. Il barbouille, peinturlure, mordille son pinceau, et achève sa besogne avec une joie d’écolier et une langue toute verte. Chaque jour, un nouvel œuf rejoint une collection qui compte plusieurs centaines de pièces. Faut-il dénoncer ce psychopathe ? »
Et une phrase magnifique : « La haine, ça crée des liens »