Début d’année, je m’étais fait la promesse de m’atteler à la littérature britannique. Il faut avouer que je n’ai jamais rien lu de Dickens … Eh bien, figurez-vous que j’ai eu un mal fou à trouver ce roman en version intégrale, et pire, je pensais avoir commandé le bon et, à sa réception, je me rends compte que c’est une version abrégée (oui, j’ai l’art de me débrouiller parfois très mal !)
Le narrateur, qui s’avère aussi être l’auteur puisque l’œuvre est en grande partie autobiographique, aurait pu vivre une enfance heureuse même sans connaître son père mort avant sa naissance, aimé et couvé qu’il l’était par sa mère et sa nourrice, Peggotty. Mais sa mère, timide et influençable, se marie avec M. Murdstone, un homme autoritaire et cruel qui maltraite l’enfant avant de l’envoyer dans un pensionnat sordide où David sera très malheureux. Un drame s’ajoutant à un autre, sa mère meurt après avoir donné naissance à un petit frère qui décède aussi. Accompagné de Peggotty qui l’emmène en vacances, le jeune David vit de petits boulots, fait des rencontres qui, bonnes ou mauvaises, vont lui permettre d’avancer dans une existence difficile et de se construire une identité. Grâce à une patience et une persévérance admirables, il réussira à devenir journaliste puis écrivain.
Roman d’apprentissage, portrait de la société anglaise victorienne, dénonciation de la maltraitance des enfants, éloge du travail et de la fidélité dans tous les sens du terme, … ce roman a tout pour être un classique et un livre culte. Ce qui m’a surprise parce que je l’avais déjà trouvé chez Charlotte Brontë avec Jane Eyre, c’est cette candeur merveilleuse et bouleversante à la fois du narrateur enfant mais aussi du narrateur adulte. S’ajoute un humour délicat presque omniprésent, notamment avec les personnages de la tante Betsy, femme moderne avant l’heure, gaie et optimiste (qui a adopté David, pour son plus grand bien), ou encore M. Dick, cet être fantasque car un peu fou, qui apporte une touche de couleur dans un univers anglais parfois bien sombre.
La version abrégée m’a un peu frustrée parce que je sentais bien qu’il me manquait des morceaux, quand des personnages apparemment cruciaux entraient en scène alors qu’on les avait à peine évoqués auparavant… Quelle idée quand même que ces romans abrégés ! Est-ce qu’on coupe des films parce qu’ils sont trop longs ? En tous cas, je me plongerai avec plaisir dans d’autres romans de Dickens, en version intégrale cette fois-ci !
La première visite à Salem-House, le pensionnat qui deviendra le nouveau foyer de David : « Il me mena dans la salle d’étude ; jamais je n’avais vu un endroit si lamentable et si désolé. Je la revois encore à l’heure qu’il est. Une longue chambre avec trois rangées de bancs, et des champignons pour accrocher les chapeaux et les ardoises. Partout des débris informes de vieux cahiers déchirés. Il règne dans la pièce une odeur malsaine, composée étrange de cuir pourri, de pommes renfermées et de livres moisis. Il ne saurait y avoir plus d’encre répandue dans toute la pièce, lors même que les architectes auraient oublié d’y mettre une toiture, et que pendant toute l’année le ciel y aurait fait pleuvoir, neiger ou grêler de l’encre. »
Lorsque l’auteur critique les dévots : « … ce qu’ils appellent faussement leur religion n’est qu’un prétexte pour se livrer librement à toute leur mauvaise humeur et à toute leur arrogance. […] ils se font détester, et comme ils ne se gênent pas pour condamner au feu éternel, de leur autorité privée, quiconque les déteste, nous avons pas mal de damnés dans notre voisinage. Cependant, […], ils en sont bien punis eux-mêmes à toute heure. Ils subissent le supplice de Prométhée, à cela près que ce sont eux-mêmes qui se dévorent le cœur, et comme leur cœur ne vaut rien, ça ne doit pas être très régalant. »