Pour la petite histoire, je ne suis pas une grande fan de Laurent Gaudé, pas extrêmement sensible à son style. C’est pour deux raisons que mon choix s’est porté sur ce livre audio : j’ai entendu l’auteur à la radio et ça m’a plu, et j’aime beaucoup la voix de Pierre-François Garel découverte pour Freedom de Franzen.
Laurent Gaudé revient sur l’ouragan de 2005 - extraordinaire par sa puissance et son effet dévastateur (des pointes à 280 km/h et 1200 morts !) qui a ravagé la Louisiane en 2005. Les narrateurs changent, de la vieille négresse presque centenaire qui sent venir la catastrophe quelques heures auparavant à la jeune mère qui retrouve son ancien amant, ils ont tous un point commun : ils sont noirs et sont les grands oubliés ou plutôt les derniers secourus, les derniers sauvés. Il y a aussi des prisonniers qui en profitent pour s’échapper, il y a aussi des alligators qui envahissent la ville et donne à ce drame une dimension effroyable.
Je n’ai pas aimé ce livre et peut-être que Garel y est pour quelque chose. Le texte est devenu dans sa bouche une longue litanie monocorde, une sorte de plainte dont la fin est inéluctable. Je n’ai pas saisi où voulait en venir Gaudé : dénoncer le racisme qui privilégie encore et toujours les Blancs ? Prouver qu’une telle tragédie exacerbait les rapports humains, donnait à la vie une plus grande valeur ? Montrer que nous ne sommes que de pauvres petits humains face la grande et impitoyable Dame Nature ? Je n’ai rien appris, je n’ai pas apprécié la part de fiction mais j’ai su remarquer, de loin, la qualité et la puissance du style de Gaudé. En bref, une écoute empreinte de monotonie avec, de temps en temps, des étincelles.
« Moi, Josephine Linc. Steelson, négresse depuis presque cent ans, j'ai ouvert la fenêtre ce matin, à l'heure où les autres dorment encore, j'ai humé l'air et j'ai dit : "Ça sent la chienne." Dieu sait que j'en ai vu des petites et des vicieuses, mais celle-là, j'ai dit, elle dépasse toutes les autres, c'est une sacrée garce qui vient et les bayous vont bientôt se mettre à clapoter comme des flaques d'eau à l'approche du train. C'était bien avant qu'ils n'en parlent à la télévision, bien avant que les culs blancs ne s'agitent et ne nous disent à nous, vieilles négresses fatiguées, comment nous devions agir. Alors j'ai fait une vilaine moue avec ma bouche fripée de ne plus avoir embrassé personne depuis longtemps, j'ai regretté que Marley m'ait laissée veuve sans quoi je lui aurais dit de nous servir deux verres de liqueur - tout matin que nous soyons - pour profiter de nos derniers instants avant qu'elle ne soit sur nous. J'ai pensé à mes enfants morts avant moi et je me suis demandé, comme mille fois auparavant, pourquoi le Seigneur ne se lassait pas de me voir traîner ainsi ma carcasse d'un matin à l'autre. »